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Episode 2 : Unis pour le meilleur et pour l’entreprise – les implications sociétaires du mariage
Date de publication : 06.11.25

Le mariage ne se limite pas à une union personnelle : il marque souvent le point de départ d’une aventure collective qui peut transformer la vie des individus et des organisations.
Notre premier article explorait le choix sociétaire et la création d’une société, en mettant en lumière les enjeux juridiques et stratégiques qui accompagnent cette décision.
Le second article, quant à lui, s’intéresse à l’autre versant de cette réalité : l’impact de la séparation et ses conséquences sur la structure et la pérennité de l’entreprise.
Ensemble, ces deux perspectives offrent une réflexion complète sur les effets sociétaires du mariage, de la fondation à la dissolution.
Episode 2 – Impact de la séparation sur la société
Quand le lien matrimonial se desserre ou se rompt, il n’est pas rare qu’on en vienne à regarder avec plus de précision les statuts de sociétés dans lesquels participent les deux époux. Les sujets alors évoqués lors du premier opus de notre article, trouvent alors encore plus d’échos au moment de la séparation des conjoints ou partenaires.
Liquidation d’entreprise et divorce sont deux volets malheureusement de la séparation des époux entrepreneurs qu’il convient de traiter en parallèle à la fois sur le plan personnel, civil, mais aussi opérationnel pour préserver l’entreprise.
Cession, boni de liquidation, divorce : quand l’entreprise devient un enjeu conjugal
En cas de cession de titres, leur origine (propre ou commune) déterminera le sort du prix de cession :
- Si les titres sont communs, le produit est commun.
- Si les titres sont propres, le prix reste propre sauf si réinvesti sans remploi clair (art. 1434 C. civ.)
Lors de la rédaction d’actes de cession et indépendamment de la qualité d’associé ou de signataire de l’acte de cession à ce titre, il conviendra toujours de s’interroger sur le fait de déterminer qui peut légalement céder les titres. Le souscripteur certes, mais parfois aussi son conjoint ou partenaire selon la nature commune ou propre des titres. La question n’est pas uniquement en pratique de savoir qui peut récupérer le produit de la cession. Il est parfois aussi et surtout de déterminer qui peut signer l’acte de cession.
A cet égard, lorsque les époux ou les partenaires se sont séparés mais que la question de la propriété des titres n’a pas été évoquée (dans la convention de divorce ou lors de la rupture de pacs par exemple), il est parfois mal aisé de faire intervenir un ex partenaire ou un ex époux/épouse à un acte de cession sans l’alerter sur son droit à percevoir une partie du prix de cession. Il n’est pas rare que des conventions de séparation n’envisagent pas clairement le sort des titres de société ou, l’ayant anticipé, reportent le traitement du sujet à plus tard.
Mais quand le plus tard arrive et que la cession fait naître un enjeu financier, il devient parfois difficile de trouver une issue. A cet égard également, la rédaction d’un pacte pour les conjoints associés peut être une bonne stratégie pour déterminer en amont la règle du jeu.
Boni de liquidation : revenu ou capital ?
A qui appartient le boni de liquidation en cas de liquidation d’une société ? Le boni de liquidation est une plus-value distribuée aux associés à la dissolution. Il est considéré comme un revenu du patrimoine, et donc commun en régime de communauté. Il suit finalement le même sort que les dividendes distribués au cours de la vie sociale.
Il est donc nécessaire d’anticiper son traitement, surtout si la société est dissoute peu avant ou pendant un divorce. De la même façon, il ne vient pas accroitre le seul patrimoine du conjoint qui était associé.
Il existe par ailleurs des outils juridiques qui entraînent la disparition d’une société sans passer par une liquidation. Ces opérations ne font pas nécessairement apparaître un boni (en dehors des écritures comptables). Il s’agit notamment de la fusion simplifiée et de la dissolution sans liquidation. A cet égard et sur des opérations de cette nature, il conviendra d’être toujours vigilant à ce que les sommes provenant d’une société dont les titres étaient propres à l’origine ne rentrent pas dans une société dont les titres sont de communauté ou inversement, sans anticiper ce sujet patrimonial.

Par exemple :
Madame X a constitué une société avant son mariage. Elle a apporté ces titres à une société Y (les titres demeurent des biens propres).
Elle crée avec son mari une société Z après leur mariage avec des biens communs. La société Z est un bien commun des deux époux X.
Madame X vend ses titres de Y à la société Z. la société Z détenant 100% des titres de Y l’absorbe par fusion.
Même si Madame X perçoit à un instant donné la valeur des titres de Y lors de leur vente, l’ensemble des actifs de Y vont être intégrés dans la société Z qui est commune, transformant ainsi le fonds de commerce et les actifs de Y qui étaient propres à Madame X en un bien commun du couple.
Divorce : quelles incidences sociétaires ? Quand le pire reste encore à venir
Le divorce n’emporte pas automatiquement perte de la qualité d’associé (art. 1832 C. civ.). Le divorce peut déjà être une épreuve pour le couple (parfois pas) mais il peut se complexifier quand vont se poser ensuite des questions relatives à la séparation professionnelle ou l’impact du divorce sur les parts sociales ou actions détenues par les ex époux dans une société en commun ou non. La problématique peut d’ailleurs être la même pour les partenaires de pacs qui se séparent.
Deux opérations sont distinctes :
- Liquidation du régime matrimonial : partage des titres communs ou pas s’ils décident de demeurer en indivision ce qui est plus rare
- Vie de la société : les ex-époux peuvent rester associés
Il n’est pas inenvisageable que des ex-époux ou partenaires demeurent associés. Ce n’est pas nécessairement la norme. Et à tout le moins, la séparation au plan civil doit être envisagée sous l’angle du droit commercial et des sociétés pour protéger également les intérêts de la société. Il convient de ne pas oublier que la société a son patrimoine et sa personnalité juridique propre, indépendante de celle des époux et de leur qualification justement d’époux. La société subsiste à la séparation par principe. Néanmoins, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si l’activité peut y survivre.
Notamment la gouvernance dans les statuts est-elle anticipée pour un tel sujet ? Ou doit-on envisager purement et simplement la disparition de l’entreprise (si elle est intuitu personae au couple par exemple) ?
Il est parfois difficile de dissocier la société des membres qui la composent notamment pour des activités de prestation très centrées sur la personnalité des dirigeants ou associés. Ce faisant, la séparation peut conduire à envisager la dissolution ou la scission de la société (séparation du patrimoine professionnel en deux entités juridiques différentes par exemple).
Cela peut entraîner des tensions (droit de vote, perception des dividendes, etc.), et il est parfois préférable d’envisager un rachat de parts ou une sortie statutaire. Selon le contexte du divorce, on aura été bien inspiré pendant la vie sociale de définir dans les statuts ou dans un pacte d’associés les règles applicables en cas de séparation des associés conjoints/partenaires afin de disposer de règles d’application automatique. Par exemple, on pourra prévoir des règles de rachats croisés pour éviter un blocage de la société. Dans certains cas, une liquidation forcée de la société pourra être envisagée en prévoyant par exemple les modalités d’une scission à l’avance.
Il conviendra d’avoir une attention toute particulière sur les conjoints en SARL, notamment lorsqu’un conjoint a la qualité de gérant majoritaire. En effet, le statut de gérant majoritaire est déterminé au regard du nombre de parts détenues par l’associé gérant directement ou indirectement par son conjoint et ses enfants mineurs. Ce sujet est d’importance dans la mesure où le gérant majoritaire est soumis au régime des travailleurs non-salariés, alors que le gérant minoritaire ou égalitaire est soumis au régime des travailleurs assimilés non-salariés.
L’impact social sur les rémunérations versées au gérant va du simple au double quasiment.
Ainsi lorsqu’un gérant est minoritaire en proportion au capital mais majoritaire si on y ajoute les parts de son conjoint, le divorce peut avoir pour impact, si rien n’est envisagé sur la répartition des parts, de faire changer de régime social pour le gérant dès le prononcé du divorce (Cass. 2e civ., 28 mai 2009) (un gérant qui était TNS va basculer sous le régime d’assimilé salarié avec un surcoût social de presque 40% de charges pour la société). Ce sujet n’est pas neutre et il y aura tout intérêt à l’anticiper dans le cadre du prononcé du divorce par une cession opportune de titres ou une attribution des parts de la SARL en contrepartie d’un autre bien ou d’une soulte dans la convention de divorce.
Domiciliation de la société au domicile conjugal : une bonne idée ?
La domiciliation du siège social au domicile des époux est fréquente (art. L.123-11-1 C. com.). Elle présente l’avantage de limiter le coût d’installation au démarrage de l’entreprise. Toutefois, cela soulève plusieurs questions en cas d’évolution de la situation matrimoniale.
En cas de vente ou de divorce, le départ du dirigeant peut contraindre la société à changer de siège. Si le siège social ne constitue pas nécessairement un sujet au regard de la valeur de l’entreprise; le transfert peut être parfois contraignant et avoir des conséquences fiscales notamment (CFE en augmentation sur le budget de la société, coût d’une location non envisagée pour un siège social, risque de perte d’avantages fiscaux du fait du changement de zone géographique…)
Un accord écrit du conjoint (notamment en communauté) est nécessaire. Il est prudent de prévoir une clause de révocation de domiciliation en cas de séparation.
Pour conclure…
L’union conjugale et l’association professionnelle forment un couple juridique complexe, à la croisée du droit des régimes matrimoniaux et du droit des sociétés. Le choix du régime matrimonial, la structuration des apports, la nature des titres, le traitement des revenus, ou encore les conséquences du divorce doivent être analysés avec précision et anticipés.
Une collaboration entre juristes spécialisés, experts-comptables et notaires est souvent indispensable pour garantir la sécurité juridique et un montage adapté aux enjeux à la fois de l’entreprise, du patrimoine du couple et des attentes propres de chaque partie également.
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A (re)lire
Episode 1 – Choix du régime sociétaire et création de société
À propos de L'auteur

Pierre Lamant
Directeur Juridique
Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.
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