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Episode 1 : Unis pour le meilleur et pour l’entreprise – les implications sociétaires du mariage
Date de publication : 16.10.25

Le mariage ne se limite pas à une union personnelle : il marque souvent le point de départ d’une aventure collective qui peut transformer la vie des individus et des organisations.
Le premier article explore le choix sociétaire et la création d’une société, en mettant en lumière les enjeux juridiques et stratégiques qui accompagnent cette décision.
Le second article, quant à lui, s’intéressera à l’autre versant de cette réalité : l’impact de la séparation et ses conséquences sur la structure et la pérennité de l’entreprise.
Ensemble, ces deux perspectives offrent une réflexion complète sur les effets sociétaires du mariage, de la fondation à la dissolution.
Episode 1 – Choix du régime sociétaire et création de société…
Si le mariage est souvent envisagé comme une union sentimentale et familiale, il emporte également des conséquences juridiques majeures, notamment dans la sphère patrimoniale et entrepreneuriale. En effet, le choix du régime matrimonial, la participation des époux à une société, la gestion des revenus professionnels, ou encore la liquidation du patrimoine commun influent fortement sur la structuration des sociétés et des patrimoines privés. Et pourtant il n’est pas rare que les époux mettent plus de temps à choisir la forme de leur entreprise qu’ils ne passent de temps à déterminer le régime matrimonial qui pourrait leur convenir le mieux.
L’analyse des implications sociétaires du mariage impose donc une double lecture : celle du droit civil (des régimes matrimoniaux) et celle du droit des sociétés. Entre statut d’associé, apports en société, perception de dividendes, rémunération et partage des titres, les époux entrepreneurs doivent naviguer avec précaution.
Dans ce premier opus, évoquons l’impact des régimes matrimoniaux à la fois sur le choix sociétaire et les revenus professionnels tirés des sociétés.
Le choix du régime matrimonial : clé de lecture des implications patrimoniales et sociétaires
Le Code Civil prévoit différents régimes matrimoniaux, avec pour objectif principal de définir la répartition des biens entre les époux, et leur degré d’autonomie patrimoniale. Trois grands types se distinguent :
La communauté réduite aux acquêts (régime légal – art. 1400 et s. C. civ.) : Tous les biens acquis pendant le mariage sont réputés communs, sauf exceptions (biens propres, héritages, donations). Les revenus professionnels et les revenus du patrimoine (art. 1401 à 1402 C. civ.) sont communs.
La séparation de biens (art. 1536 et s. C. civ.) : Chacun conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens, acquis avant ou pendant le mariage. Les revenus du patrimoine ou du travail restent personnels.
La communauté universelle ou la participation aux acquêts (régimes conventionnels – art. 1526 à 1568 C. civ.) : Ces régimes permettent un partage plus ou moins étendu des biens, avec des modalités propres à définir par la voie contractuelle.
On peut d’ailleurs noter que les partenaires de pacte civil de solidarité ne sont pas épargnés non plus et doivent opérer un choix entre le régime actuellement de droit de la séparation des patrimoines ou l’option pour un régime assimilable à la communauté légale.
Il en ressort que selon le régime matrimonial choisi, les époux ou partenaires peuvent convenir de définir un patrimoine qui leur sera commun ou des patrimoines propres.
En communauté légale, un bien est propre s’il a été acquis avant le mariage ou reçu par donation/succession (art. 1405 C. civ.). Les titres de sociétés acquis avec des fonds propres sont donc considérés comme propres, sauf clause d’emploi ou de remploi mal rédigée.
Dans les régimes séparatistes, chaque conjoint ou partenaire demeure seul titulaire de son patrimoine.
Il convient néanmoins de se rappeler qu’en communauté légale, les revenus professionnels (salaires, rémunérations de gérance, bénéfices industriels ou commerciaux) et les revenus de biens propres (dividendes, loyers…) sont communs par nature dans ce régime (art. 1401 C. civ.), sauf stipulation contraire.
Ainsi des époux ou partenaires de pacs qui envisagent de constituer une société, que ce soit ensemble ou avec des tiers, devront s’interroger sur la cohérence du montage de société avec leur régime matrimonial.
Il n’est pas rare d’entendre dire qu’il faut éviter les associations à 50/50 avec deux associés. Certes, mais si ces deux associés sont mariés en communauté, mesure-t-on l’incohérence d’un tel conseil avec celui de laisser les conjoints en communauté ? La réflexion devra amener à réfléchir à la cohérence ou la nécessaire modification du régime matrimonial selon le cas (sous réserve des enjeux financiers d’un tel changement).
Les parades existent. Au même titre que le divorce est organisé par le Code Civil, la séparation des conjoints associés est tout à fait possible à anticiper dans les statuts ou dans un pacte d’associé, sous réserve d’envisager le pire au moment où tout va pour le mieux justement.
Mariés et pacsés communautaires – pactez ensemble ! En effet, dès lors que les conjoints sont sous un régime communautaire, il est toujours judicieux de fixer les termes de la séparation professionnelle dans un pacte d’associés en marge des statuts. Non pas que les conjoints sous régimes séparatistes n’aient pas à se soucier des effets de leur séparation professionnelle également. mais il est vrai que le régime de séparation peut avoir un avantage en terme d’étanchéité des patrimoines de chaque époux
Titres sociaux, revenus et pouvoir : distinguer le titre et la finance
Lorsqu’une société est constituée par des personnes mariées, qui est associé en pratique ?
Le droit français établit une distinction entre la propriété des titres sociaux (droit de vote, droit de céder, droit aux bénéfices) et l’affectation des revenus issus de ces titres.
A ce titre, le conjoint commun en biens n’est pas automatiquement associé, même si les titres sont communs. En effet, seul celui qui souscrit ou acquiert les titres est titulaire de la qualité d’associé (art. 1832-2 C. civ. et art. 1424 C. civ.). Ainsi en pratique même si un époux utilise des biens issus de la communauté pour acquérir des titres d’une société, qu’elle soit civile ou commerciale, il en sera seul considéré comme associé par principe.
En revanche, le conjoint peut revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts financées avec des fonds communs (art. 1832-2 al. 2 C. civ.), sauf renonciation (temporaire ou définitive). En cas de doute, rien n’interdit de faire renoncer à la qualité d’associé le conjoint du souscripteur des titres d’une société..
Ces dispositions permettant la revendication de la qualité d’associé ne sont en revanche pas applicables aux sociétés commerciales par actions. De ce fait, seul le souscripteur a la qualité d’actionnaire ou d’associé (notamment dans les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiée).
Mais il convient de ne pas faire d’amalgame. Nous ne parlons là que de la qualité d’associé. Celle qui donne le droit de voter aux assemblées, celle qui donne le droit de participer à la vie sociale. Le conjoint ou partenaire dont une partie des biens communs a été mobilisée pour cette acquisition n’est pas privé de tout droit. Les titres acquis demeurent néanmoins pour la valeur qu’ils représentent un bien de communauté.
Ainsi donc, les titres acquis par mobilisation de biens propres d’un conjoint demeurent des biens propres de ce conjoint : cela vise les titres acquis avec des biens appartenant à des époux en séparation de biens ou des partenaires de pacs en séparation de patrimoines. Cela vise également les titres acquis au moyen de biens détenus par des conjoints ou partenaires en communauté acquis ou obtenus avant leur union ou obtenus pendant leur union mais n’ayant pas la nature d’acquêts (par exemple des sommes obtenues par donation ou succession).
A l’inverse les titres acquis au moyen de biens communs constituent un bien commun du couple.
A cet égard, il conviendra d’être très vigilant sur l’origine des fonds ou biens employés pour souscrire à des titres de société. Par exemple le remploi de sommes d’argents obtenues de donation ou succession doit faire l’objet d’un traçage très précis pour éviter qu’il n’y ait le moindre doute sur l’origine des fonds et donc sur la titularité des titres de la société. Par exemple, le fait de fondre les sommes issues d’une donation sur un compte courant rend difficilement traçable ces fonds pour un remploi comme étant un bien propre. En effet, l’argent étant fongible, le fait de mettre des fonds propres sur un compte commun n’est pas exempt de tout risque.
Attention aux revenus des titres : la communauté embrasse tous les fruits
En communauté, les dividendes versés aux titulaires de parts sociales ou d’actions sont des fruits du patrimoine (art. 1401 C. civ.). Ainsi ils tombent dans la masse commune, même si les titres sont propres.
Il faut, en effet, bien différencier :
- Le titre (propriété) : qui peut être propre ou commun nous venons de le voir
- Le revenu du titre (dividendes) : généralement commun en communauté
De la même façon les revenus perçus par un conjoint ont vocation à venir accroitre la communauté tant qu’elle existe. De ce fait, ces revenus ne sont pas un bien propre qui ne serait pas à partager au sein du couple. Quid en cas de séparation de biens ? Il convient, là également de ne pas oublier l’obligation de vie en commun des époux malgré le régime patrimonial de séparation. A ce titre, une partie des revenus de chaque membre du couple a vocation à être mobilisée pour la vie du couple au titre notamment de l’obligation de vie commune et du partage que suppose le mariage ou le partenariat civil.
A ce titre, il convient d’ailleurs de préciser que les dividendes perçus par les époux en communauté ne leur reviennent pas à due proportion de leur participation au capital de la société s’ils sont versés sur des titres souscrits en communauté, mais bien à 50/50 entre eux.
D’ailleurs, ils sont déclarés conjointement sur la déclaration d’impôt sur le revenu, l’administration fiscale n’ayant que faire de l’époux les ayant appréhendés.
Pour celles et ceux qui auraient la tentation de les inscrire en compte courant de la société, la répartition sur les comptes courants se fait à parts égales entre les époux et non au prorata des parts.Par exemple :

Monsieur et Madame X sont associés d’une SARL créée au moyen de biens communs apportés au capital.
Monsieur X a 20% du capital et Madame X a 80% du capital. Les dividendes qui leur sont versés sont répartis à 50% pour chacun et non à 20%/80%, s’agissant d’un fruit des parts.
Apports et remploi : Ce qui est à moi est à moi mais ce qui est à toi est parfois aussi à moi
Si un fonds de commerce est apporté à une société, il faut déterminer s’il est propre ou commun. En cas d’apport d’un bien commun, l’accord du conjoint est requis (art. 1424 C. civ.).
Un époux peut également apporter un bien propre, mais dans ce cas, attention au financement : un bien propre financé avec des fonds communs peut donner lieu à récompense lors de la liquidation du régime (art. 1437 C. civ.).
En cas d’apport de titres à une holding, leur nature (propre ou commun) déterminera le traitement ultérieur (revenus, votes, cession, etc.).
Il n’est pas toujours aisé de déterminer qui est réellement propriétaire des apports. Pour autant, il est impératif d’arriver à retracer l’origine des biens apportés au capital d’une société ou mobilisés au moment d’un rachat de titres ou d’un apport de titres afin de ne pas transformer des biens propres en biens communs et inversement.
Il n’est pas rare d’ailleurs que l’administration ait une attention particulière à ce sujet pour éviter la migration de patrimoine propre d’une personne vers un conjoint hors des règles de la communauté et pour éviter la case des droits de mutation. Bien mal inspiré celui qui penserait pouvoir cacher la transmission de biens propres par l’intermédiaire d’actes de société mal formulés. L’administration peut toujours, par le spectre de l’abus de droit réaffecter à chaque époux le patrimoine qui est le sien. Cela est d’autant plus vrai dans le cadre de la mise en place de trusts qui peuvent dissimuler les lignes encore plus.
Avances en compte courant d’associé : un outil à manier avec précaution
Les époux peuvent consentir des apports en compte courant d’associé au sein des sociétés dans lesquelles ils participent. Ce mode de financement de l’entreprise, sans recours à la dette bancaire, est assez usuel. Cependant il conviendra d’être vigilant sur le traitement de ces avances consenties par un conjoint ou le couple à une société.
Si l’apport est réalisé avec des fonds communs, le remboursement est un bien commun.
Si l’apport est fait avec des fonds propres, mais que les intérêts produits sont des fruits, ils sont communs en régime de communauté (art. 1401 C. civ.). De ce fait, le montant nominal du compte courant demeure un bien propre mais les intérêts eux sont un bien commun. Attention à ne pas mélanger les sommes dans les écritures comptables, au risque de confusion des patrimoines communs et propres des époux.
Il convient donc de tracer les fonds et, si nécessaire, stipuler l’origine des apports (avec des clauses de remploi notamment). Le plus simple : à chaque associé son compte courant même en communauté.
Ce n’est pas temps pour les séparer et en avoir la chasse gardée que pour surtout éviter la contagion entre eux. Soyons pragmatiques. Si on ne peut plus déterminer ce qui est un bien propre d’un conjoint ou un bien commun, les tiers ne le pourront pas non plus. Si ce tiers est un créancier, il aura vite fait de solliciter un gage sur l’ensemble du patrimoine par confusion.
Conjoint collaborateur ou salarié : quelle protection?
Un époux non associé peut être :
- Conjoint collaborateur (régime spécifique reconnu par la loi du 2 août 2005 – art. L.121-4 C. com.)
- Conjoint salarié (rémunéré, mais soumis à conditions strictes – vigilance sur les rescrits URSSAF)
Ces deux solutions permettent à un époux (notamment en SARL pour la première) de participer à l’activité sociale sans pour autant être cogérant.
La première solution permet de limiter le coût des cotisations sociales tout en permettant un exercice conjoint dans l’entreprise. Elle est conditionnée au fait de ne pas avoir la qualité d’associé. En pareil cas, si la solution du conjoint collaborateur est opportune pour le couple, il peut être judicieux de faire renoncer le conjoint commun en bien à la qualité d’associé (ce qui n’impacte pas ses droits aux revenus) et lui faire prendre le statut de conjoint collaborateur.
La seconde solution est souvent présentée comme raccourci en permettant au couple de disposer des éventuelles garanties du salariat en cas de difficulté. Notamment, en permettant, dans des limites strictes, le recours aux indemnités délivrées par France Travail en cas de perte d’emploi. On sera néanmoins très vigilant à la qualification d’un réel contrat de travail. En effet, il ne faut pas omettre que l’URSSAF peut refuser cette protection dans le cas où les modalités d’exercice du contrat montrent clairement une absence de lien de subordination. Il peut être difficile, mais pas impossible, de prouver qu’on est sous subordination de son conjoint commun en bien (d’autant plus si ce conjoint est associé unique et dirigeant unique de la société). Il sera alors important de faire un rescrit auprès de l’URSSAF afin de bien valider la possibilité d’un tel montage au cas par cas.
…
A suivre
Episode 2 – Impact de la séparation sur la société
À propos de L'auteur

Pierre Lamant
Directeur Juridique
Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.
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