Article
Indexation des loyers : ce que bailleurs et preneurs doivent (vraiment) savoir
Date de publication : 15.05.25

Les baux commerciaux obéissent à un régime juridique spécifique qui vise à équilibrer les relations entre bailleur et preneur commerçant, notamment dans leurs relations financières. Si la loi a prévu un mécanisme de révision des loyers à des périodes et selon une mécanique définie, il n’est pas rare que le bail commercial convenu entre le bailleur et le preneur prévoit un mécanisme permettant d’ajuster le loyer pendant l’exécution du bail.
Qu’est-ce-que l’indexation des loyers commerciaux ?
Ce mécanisme a pour but d’ajuster le loyer facturé en fonction de critères économiques et notamment du coût de la vie en général. A la fois technique et stratégique, il présente l’avantage de fixer à l’avance les termes d’actualisation du loyer en fonction de fluctuations économiques. Il n’est pas rare d’entendre alors parler dans les baux de clause d’échelle mobile (car elle peut varier à la hausse ou à la baisse) ou de clause d’indexation, mais à quoi cela correspond-il en pratique ?
Ce mécanisme purement conventionnel diffère de la révision du loyer qui s’applique par principe en période triennale à la fois dans son fondement, dans sa mécanique et notamment son automaticité. Dès lors l’indexation des loyers commerciaux répond en pratique à une double problématique : préserver les droits du bailleur par rapport à l’inflation immobilière en lui garantissant la possibilité de revoir le loyer pendant l’exécution du bail et par ailleurs sécuriser le preneur à bail commercial en lui permettant d’avoir une certaine prévisibilité de l’évolution de son loyer sans attendre les périodes triennales.
Même s’il est régulièrement prévu dans les baux commerciaux, force est de constater que le mécanisme est souvent mal maîtrisé voire pas appliqué par oubli ou méconnaissance. Il convient de démêler le faux du vrai sur cet outil pourtant très généralisé dans les baux commerciaux.
Pourquoi intégrer une clause d’indexation dans un bail commercial ?
L’indexation des loyers commerciaux repose principalement sur la liberté contractuelle qui est laissée au bailleur et au preneur pour déterminer les conditions locatives du bien. En effet, aucune disposition légale n’oblige les parties à inclure une clause d’indexation dans le bail à l’inverse de la révision qui elle est prévue par la loi. Néanmoins, dès lors que les parties sont convenues d’insérer une telle clause, celle-ci doit respecter certaines règles impératives. La clause permet d’ajuster automatiquement le loyer à chaque période convenue, selon l’évolution d’un indice de référence.
Cependant, cette liberté est encadrée strictement à la fois par la loi et par la jurisprudence.
Par exemple, l’alinéa 2 de l’article L.112-1 du code monétaire et financier répute non écrite toute clause d’un bail prévoyant la prise en compte d’une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision.
Par ailleurs, la jurisprudence conduit à exclure toute clause d’indexation reposant sur des indices non représentatifs de l’objet du contrat. De ce fait, on ne pourra retenir un indice sans lien avec l’activité quand bien même les parties désireraient le retenir.
Par ailleurs, l’article L. 145-39 du Code de commerce qui encadre la révision judiciaire du loyer lorsque celui-ci présente une variation de plus de 25 % par rapport au loyer initial. Néanmoins ces dispositions ne s’appliquent pas aux clauses d’indexation automatiques si elles sont régulièrement exécutées.
Pour être valable, une clause d’indexation doit répondre à certaines conditions juridiques. Elle doit être claire, précise et ne pas reposer sur un indice prohibé. Elle ne peut pas être à sens unique : la révision doit être possible à la hausse comme à la baisse. Toute clause ne prévoyant qu’une variation à la hausse est réputée non écrite. Il y a donc lieu d’être vigilant sur ce point et de ne pas tirer à l’excès la corde de la liberté contractuelle, au risque qu’elle ne casse…
A noter néanmoins que la réputation non écrite de la clause d’indexation n’entraîne en rien la nullité du bail lui-même. En pratique, la clause ne sera pas applicable mais le bail demeure et avec lui les règles de la révision triennale prévue par la loi, à défaut de clause conventionnelle.
La jurisprudence est également venue encadrer les clauses dites d’échelle mobile, c’est-à-dire celles qui prévoient une variation automatique à intervalle régulier. La Cour de cassation exige en effet que ces clauses permettent une indexation réelle, automatique, et en lien direct avec l’activité concernée.
Quels indices sont alors autorisés pour indexer un loyer commercial ?
Depuis 2008, les indices principaux autorisés pour l’indexation des loyers commerciaux sont :
- L’Indice des Loyers Commerciaux (ILC) : destiné aux activités commerciales et artisanales
- L’Indice des Loyers des Activités Tertiaires (ILAT) : utilisé pour les activités tertiaires (bureaux, professions libérales, etc.).
Ces indices sont publiés trimestriellement par l’INSEE. Leur choix doit être pertinent et cohérent avec l’activité du preneur, au risque de rendre la clause invalide. L’utilisation de l’Indice du Coût de la Construction (ICC), autrefois courant, est aujourd’hui déconseillée même s’il n’est pas interdit, car il est plus volatil et souvent déséquilibré en défaveur du locataire. Par ailleurs, la révision triennale proscrivant le recours dorénavant à l’ICC, l’utilisation de cet indice en matière d’indexation conduirait mécaniquement à revoir les modalités tous les trois ans en tassant l’augmentation de loyer en fonction de l’ILC ou de l’ILAT applicables légalement, ce qui rend le mécanisme peu opérationnel sur la durée et relativement complexe pour les non avertis.
Ces indices sont publiés trimestriellement et facilement accessibles. En pratique, il y aura lieu de choisir le dernier indice publié à la date de prise d’effet du bail. A ce titre, notamment si le bail est signé avant sa date de prise d’effet ou si le loyer prend effet à une date reportée en fonction de réalisation de travaux (notamment le cas pour du BEFA – Bail en l’Etat Futur d’Achèvement) il pourra être judicieux de retenir le dernier indice connu non à la date de signature du bail mais à la date de prise d’effet du bail ou du loyer selon le cas.
En pratique rien n’interdit néanmoins d’utiliser d’autres indices, dès lors qu’ils sont en lien avec l’activité. Par exemple, on pourrait tout à fait retenir comme indice la variation d’un indice professionnel dans les centaines d’indices professionnels ou de l’INSEE. On aura néanmoins une attention particulière à la cohérence de l’indice avec l’activité et surtout à sa pérennité et sa publication régulière. En effet, il serait peu efficace de prévoir un indice dont l’occurrence est au-delà de trois ans par exemple ou qui n’est pas publié de façon régulière.
Comment fonctionne concrètement la clause d’indexation ?
Quelques idées reçues sur l’automaticité de la clause d’indexation
L’indexation prend effet selon les modalités prévues au contrat, généralement de manière annuelle à date fixe. Elle permet ainsi une réévaluation continue du loyer sans intervention judiciaire ni formalisme excessif. L’intérêt évident de la clause d’indexation est justement d’entrer en application sans qu’il soit nécessaire que le bailleur ait à notifier au preneur l’augmentation de loyer. En effet, dès lors que l’indice est connu des deux parties dans le contrat de bail, chacune d’elles, et a fortiori le preneur, est en mesure de déterminer à chaque date d’application le nouveau loyer indexé.
En pratique comment cela fonctionne ? Il convient de multiplier en général le loyer de la période précédente par le rapport entre le nouvel indice retenu par rapport au précédent indice. La mécanique est assez simple.
C’est là souvent le cœur du problème. La clause étant d’effet automatique et ne nécessitant pas de notification par le bailleur, il n’est pas rare que preneur comme bailleur omette d’en faire l’application. Dès lors quand le bailleur s’en aperçoit a posteriori, il peut tout à fait solliciter l’application rétroactive de l’indexation de loyer. Le preneur ne pourra pas lui opposer l’absence de notification préalable puisque justement elle n’est pas exigible, s’agissant d’un mécanisme conventionnel.
Au mieux, le preneur pourra objecter la prescription quinquennale pour les sommes qui seraient demandées au-delà de cinq ans par l’effet de l’indexation, la loi prescrivant par cinq ans toutes actions en matière de baux commerciaux. En effet, l’action en paiement des loyers commerciaux ne figure pas parmi les actions régies par l’article L.145-60 du Code de commerce qui fixe une prescription biennale. Dès lors on doit appliquer le droit commun de la prescription quinquennale en pareil cas.
En pratique donc, le bailleur a cinq ans pour venir solliciter les loyers non appelés au titre de la clause d’indexation.
Toutefois, elle ne fait pas obstacle à la révision triennale prévue à l’article L. 145-38 du Code de commerce, sauf si elle a été effectivement appliquée.
L’indexation peut aussi avoir des incidences sur le renouvellement du bail et la fixation du loyer renouvelé, notamment en cas de déplafonnement. Si la variation de l’indice dépasse certains seuils, elle peut justifier une remise en cause du plafonnement légal rendant ainsi le plafonnement/déplafonnement de loyer en cas de renouvellement particulièrement complexe.
On n’omettra pas, par ailleurs, en cas d’application de la clause d’indexation d’ajuster le montant du dépôt de garantie. En effet, le dépôt de garantie est souvent adossé à une occurrence de loyers (deux ou trois termes de loyers mensuels par exemple). Ce faisant, par le jeu de l’indexation, le loyer augmentant ou diminuant (du fait de la clause d’échelle mobile), il peut y avoir lieu à actualiser le dépôt de garantie dans les mêmes termes de variation
Quelles limites faut-il respecter pour que la clause d’indexation soit valable ?
La clause d’indexation, bien que librement négociée entre les parties, est strictement encadrée comme il a été dit. La jurisprudence refuse les clauses fondées sur des indices internes à l’entreprise ou étrangers à l’économie réelle. Les clauses prévoyant une indexation rétroactive ou asymétrique sont également prohibées.
Mais au-delà de cela, il convient de rappeler que comme tous contrats, le bail commercial est soumis à une obligation de négociation et d’exécution de bonne foi. Dès lors des périodes d’instabilité économique, comme la crise sanitaire ou l’inflation post-pandémie, ont relancé les débats sur la validité et la justice des mécanismes d’indexation automatique. Certains locataires ont sollicité des révisions ou des suspensions en raison de la charge économique excessive résultant d’indexations élevées.
Le législateur lui-même avait pris les devants en mettant en place des mécanismes dérogatoires pour les baux commerciaux pendant la période de COVID-19 et postérieure, justement pour rendre un équilibre économique aux accords conclus par les parties dans les baux commerciaux pour tenir compte de la situation exceptionnelle de cette période sur l’activité économique.
Peut-on négocier ou contester une clause d’indexation ?
Il n’est pas rare, par ailleurs que les parties viennent à négocier la révision des termes du bail dont le loyer aurait, par effet d’augmentations successives non maîtrisées atteint un niveau intenable pour le preneur au regard de son activité. Certes ces négociations sont de gré à gré, mais elles peuvent aussi, selon le cas, intervenir dans le cadre judiciaire quand les conditions du bail viennent à être disproportionnées pour l’une des parties. On pourra alors se prémunir de tels risques avec des clauses spécifiques dans le bail (clause sur l’imprévision notamment).
L’indexation permet au bailleur de préserver la rentabilité de son bien en suivant l’évolution économique. Pour le locataire, elle offre une certaine prévisibilité, à condition que l’indice utilisé soit stable et représentatif. Dans un contexte d’inflation, l’enjeu devient crucial : une hausse brutale de l’ILC ou de l’ILAT peut fragiliser la trésorerie du locataire et entraîner un non-paiement des loyers qui n’est pas plus bénéfique au bailleur. En pareil cas, les parties auront tout intérêt à discuter les termes du bail.
Il n’est pas rare dorénavant que les parties négocient des clauses plus flexibles justement pour anticiper ces sujets de manière équitable et dans le strict respect de la bonne foi contractuelle.
Ainsi on voit apparaître des clauses d’indexation partielle, plafonds ou planchers de variation, voire gel temporaire de l’indexation. Cette contractualisation fine devient un levier de négociation dans un marché immobilier commercial en mutation et en tension en permettant de neutraliser partiellement l’effet à la hausse ou à la baisse de clause d’indexation en cas d’envol de l’indice retenu ou en tenant compte de variation des performances du locataire (en fonction de l’EBITDA par exemple pour être sur un critère objectif d’activité) sans pour autant tomber sur des clauses de loyer indexées en fonction de l’activité. En pratique, certains baux prévoient un loyer variable pour partie en fonction du chiffre d’affaires. On se gardera de confondre ces loyers variables (en fonction de performances économiques annuelles) et l’indexation qui vient modifier le loyer fixe principal bien que les deux puissent exister et se cumuler.
Pour conclure
L’indexation des loyers commerciaux constitue un outil juridique central pour adapter les loyers à l’évolution économique, tout en assurant la sécurité juridique du bail. A ce titre, il constitue un véritable enjeu de négociation entre les parties à l’occasion de la mise en place du bail. Elle repose sur un équilibre délicat entre la liberté contractuelle et le respect de principes protecteurs d’ordre public économique. En période d’instabilité, elle devient un enjeu de négociation et de prudence contractuelle accru.
À propos de L'auteur
Pierre Lamant
Directeur Juridique chez In Extenso
Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.
Vous avez aimé cet article, vous avez une question ? Laissez un commentaire