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Céder un fonds de commerce : quel impact sur le bail commercial ?
Date de publication : 28.11.24
En cas de transmission, notamment par cession, de l’entreprise à un tiers, la poursuite du bail avec le cessionnaire constitue souvent un enjeu majeur. Afin de protéger les propriétaires de fonds de commerce contre toute tentation du bailleur d’interdire le transfert du bail à un acquéreur et de favoriser sa transmission, la loi a mis en place un mécanisme permettant de limiter les droits du bailleur sur ce type d’opération.
En effet, le droit au bail commercial représente l’un des éléments incorporels du fonds de commerce indispensable la plupart du temps à la poursuite de l’activité par le cessionnaire. Il permet à l’entreprise d’exploiter dans les locaux qui lui sont loués et ainsi d’assurer la continuité de son exploitation en un lieu donné. Ce lieu conditionne d’ailleurs l’existence pour partie de la clientèle et constitue le point central de la zone de chalandise de l’entreprise (zone dans laquelle elle peut capter ses clients actuels ou futurs).
Attention néanmoins : le bailleur n’est pas exempt de droit en cas de transmission du bail et il convient de ne pas confondre les opérations juridiques, au risque de déconvenues cinglantes. Par ailleurs, l’analyse du bail est souvent un préalable impératif à toute cession pour bien mesurer l’impact du bail sur la cession du fonds de commerce et réciproquement.
Liberté de principe de la cession du bail commercial en cas de cession du fonds
L’article L.145-16 du Code de commerce déclare nulle toute clause ayant pour objet ou pour effet d’interdire à un locataire de céder son bail ou les droits qui s’y rapportent à l’acquéreur de son fonds de commerce. En pratique, une telle clause, même si elle a été acceptée par le preneur, ne pourra être appliquée en cas de litige, et le bailleur ne pourra pas invoquer le consentement du preneur pour la faire valoir.
Cette disposition permet ainsi de s’assurer que lors de la cession du fonds de commerce, le bailleur ne puisse solliciter un droit quelconque pour s’opposer à la transmission du bail en même temps que le fonds de commerce. Cela suppose néanmoins une identité d’acquéreur. Ainsi, il n’est pas possible de solliciter la protection de ce texte lorsque le fonds de commerce est vendu à une personne et le droit au bail à une autre.
Cette protection trouve en revanche à s’appliquer à la fois aux cessions pures et simples de fonds de commerce mais également en cas de transfert universel de patrimoine professionnel. Il en résulte que les opérations de fusion, de scission, ou même de transmission universelle de patrimoine (notamment en cas de dissolution sans liquidation d’une société entièrement détenue par une autre), sont concernées.
Il y a lieu de rappeler par ailleurs que ces dispositions protègent en réalité tout autant le vendeur de fonds de commerce que le vendeur de fonds artisanal qui bénéficierait d’un bail commercial, dès lors que cette disposition relève en réalité des dispositions du Code de commerce relative aux baux commerciaux, que ceux-ci soient appliqués de droit ou par option des parties (à défaut de réglementation contraire imposant le recours à un autre bail).
Cession de fonds de commerce et opérations comparables : attention aux faux amis !
La cession de fonds de commerce s’entend de la cession du fonds dans son ensemble et non d’éléments isolés composant ce fonds. Il peut arriver que, par raccourci sémantique ou par erreur d’appréciation, certaines opérations soient confondues avec cette notion, volontairement ou non, alors qu’elles n’ont pas du tout les mêmes conséquences juridiques.
Il est important en effet de rappeler que les dispositions de l’article L.145-16 du Code de commerce ne trouvent pas à s’appliquer en cas de cession isolée du droit au bail (voir notre prochain article sur la cession de droit au bail à paraître).
Qu’entend-on par cession du droit au bail ? Cela revient à transférer à un tiers le droit de succéder au preneur à bail dans des locaux pour la durée restante du bail sans opérer de cession de clientèle ou des éléments fondamentaux du fonds de commerce. Cette cession n’implique pas, en elle-même, l’obligation de continuer l’exploitation du fonds, contrairement à la cession d’un fonds de commerce qui exige la poursuite de l’activité dans des conditions similaires. De ce fait, le bailleur peut tout à fait imposer des conditions à cette cession.
En pratique, la question qui se posera lors de la cession d’une entreprise sera celle de déterminer précisément ce qui fait partie du périmètre cédé. La cession avec ou sans clientèle et/ou moyens d’exploitation emporte la qualification de cession de fonds ou de cession de droit au bail.
Ainsi les parties peuvent tout à fait réglementer d’un commun accord dans le bail les conditions d’un transfert isolé du droit au bail alors qu’elles ne le peuvent pas dans pour la cession de fonds accompagnée de la cession de droit au bail. Le transfert sera généralement soumis à une autorisation préalable du bailleur. Dans certains cas, il peut être conditionné à une simple information. D’où l’importance de bien lire le bail avant toute opération de cession.
Se pose aussi régulièrement la question d’une cession de fonds de commerce suivi d’un changement d’activité manifeste et parfois radical postérieurement à la cession. L’entrepreneur qui envisage de céder son entreprise serait mal avisé d’essayer de camoufler une cession de droit au bail en réalité derrière les atours d’une cession de fonds de commerce. Le bailleur aura tous loisirs lors du changement d’activité de refuser la déspécialisation du bail si le bail prévoyait une activité spécifique. A noter que même en présence d’un bail « tous commerces », le recours à un tel subterfuge est très risqué et pourrait tout à fait être contesté par le bailleur se voyant imposé un nouveau cocontractant sans respect de son droit préalable d’agrément en cas de cession de droit au bail.
Une cession portant uniquement sur une partie des activités d’une entreprise (appelée cession d’une branche d’activité) ne peut pas bénéficier de ce mécanisme, qui est en réalité conçu pour protéger exclusivement la cession de l’intégralité du fonds de commerce, considéré comme une unité d’activité.
De même la cession des titres d’une société d’exploitation n’emporte en rien modification de la qualité du preneur à bail qui demeure la même. Ainsi la cession des parts ou actions composant le capital d’une société n’entraîne pas la possibilité pour le bailleur d’invoquer un quelconque droit à désigner le successeur (sauf conditions particulières du bail). Une attention devra néanmoins être portée au transfert des cautions éventuelles données par des dirigeants ou associés de la société preneuse à la date de la cession.
Il convient néanmoins toujours de s’interroger sur la nature profonde de la cession opérée et non de s’en remettre au titre parfois trompeur qui est donné à l’acte. La cession de fonds de commerce est une qualification factuelle avant d’être une qualification juridique. A l’inverse, certains cédants peuvent avoir la tentation de ne pas requérir la forme d’une cession de fonds de commerce (notamment pour éviter les contraintes de séquestre du prix de cession jusqu’à levée des éventuelles oppositions fiscales et sociales) pour aller chercher la cession de droit au bail plus souple dans ses conséquences. Il faut alors en assumer les conséquences également à l’égard du bailleur, étant précisé qu’un tel choix n’est, quoi qu’il en soit, pas opposable à l’administration qui peut toujours redonner à un acte sa qualification juridique réelle.
« Liberté de principe de cession » ne veut pas dire « liberté sans condition »
Ainsi, certes, sous réserve du respect de la qualification de cession d’un fonds de commerce, le preneur pourra transférer le bénéfice du bail commercial à l’acquéreur de son fonds de commerce sans opposition de principe du bailleur.
Néanmoins, rien n’interdit au bailleur dans le contrat de bail de conditionner cette liberté de cession à des critères fixés contractuellement.
Par exemple :
- Le fait que le cédant soit à jour du paiement des loyers, charges et accessoires
- Une obligation d’information prenant la forme d’un droit de participation à l’acte de cession du bailleur (lui permettant de s’assurer des modalités de cession justement et de contrôler que la cession porte bien sur une cession de fonds et non sur une cession de droit au bail déguisée)
- Une obligation de solidarité sur le paiement des loyers et charges
Le non-respect d’une telle clause à l’occasion de la cession du fonds de commerce pourrait ainsi permettre au bailleur de contester la régularité de la cession ou solliciter la résiliation du bail purement et simplement au bon vouloir du bailleur. Il est donc impératif là encore de lire les conditions du bail sur les modalités de cession pour s’assurer du formalisme à respecter pour la validité de la cession du fonds.
Il convient par ailleurs de ne pas omettre que la loi prévoit par ailleurs la possibilité pour les parties de convenir d’un droit de préemption du bailleur en cas de fonds de commerce. Ce mécanisme qui n’est pas de droit doit être prévu contractuellement par les parties au bail. Ce droit de préemption suppose le respect d’une information préalable auprès du bailleur. Il est en quelque sorte le corollaire du droit de préférence du preneur en cas de vente des murs par le bailleur instauré par l’article L.145-46-1 du Code de commerce bien que ces deux droits ne soient pas conditionnés l’un à l’autre en réalité.
En réalité, les droits du bailleur à l’occasion de la cession du fonds de commerce sont directement liés, selon la jurisprudence aux droits qui lui sont concédés par le bail. Si le bailleur a obtenu l’inscription dans le bail de clauses contraignant la cession du fonds de commerce, il ne pourra qu’avoir un pouvoir d’opposition à la cession très limité, se limitant au contrôle desdites clauses.
Ainsi par exemple, la jurisprudence a déjà été amenée à juger que le droit d’intervention du bailleur à l’acte de cession de fonds en vertu d’une clause du bail ne peut lui permettre de fixer des conditions sur l’acheteur du fonds (Tribunal de commerce de Créteil, 30/09/2015 n° 2012F00717). Même s’il peut être tenté de donner un avis, que le cédant sera avisé de suivre ou non, selon le contexte, cela ne peut constituer une condition à la cession.
Succession dans le bail : le cessionnaire est en quelque sorte « l’héritier » du cédant
Il convient enfin de faire particulièrement attention aux conditions de la cession. Même lorsque la cession n’est conditionnée par aucune clause, il y a tout intérêt à bien mesurer le contexte de la cession. En effet, il ne faut pas oublier que le cessionnaire du fonds de commerce va prendre le relai du cédant avec le bailleur. En tant que successeur, il en reprend tous les bons et mauvais côtés de la relation antérieure qui a pu se construire entre le bailleur et le preneur.
Il reprend le bail en l’état avec ses contraintes et limites. Il pourra ainsi être souvent intéressant pour un acheteur de conditionner son achat du fonds de commerce à une révision du bail ou à des ajustements. Comme dans tout héritage, il y a lieu parfois d’émettre des réserves.
De même, peut se poser la question de l’intérêt de conserver un bail dans le cadre d’un rachat de fonds de commerce alors que ce bail serait arrivé à terme ou dont le terme serait dépassé. L’existence d’un loyer très bas ou de conditions locatives très intéressantes présente un avantage certain pour l’acheteur d’un fonds de commerce qui pourrait conduire les parties à nouer en amont de la cession un échange avec le bailleur, alors même que le bail ne prévoirait aucune contrainte pour éviter d’aller sur des relations futures dégradées. C’est ainsi qu’au cas par cas et même si le bail ne prévoit pas toujours un mécanisme de faveur pour le bailleur en cas de cession de fonds de commerce, il peut être utile d’envisager de façon exceptionnelle une telle information.
A propos de L'auteur
Pierre Lamant
Directeur Juridique chez In Extenso
Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.
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