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La réflexion stratégique focus sur l’expression de la stratégie

Date de publication : 24.05.23

Gestion | PilotagePME

« Le lien entre Raison d’Être et stratégie n’est pas une option, c’est une obligation ! »

Nous avons vu lors du précédent article de cette série consacrée à la réflexion stratégique que la Raison d’Être exprime la façon dont l’entreprise souhaite se présenter au monde. Pour être d’une part crédible et inspirer les salariés et d’autre part rassurer les parties prenantes, nous avons vu qu’elle doit s’appuyer sur les valeurs fondamentales de l’entreprise et exprimer le projet absolu dans lequel celle-ci s’engage. C’est cette combinaison de valeurs fondamentales et de projet présenté comme une aventure au long cours qui donne sa pérennité à la Raison d’Être et lui confère par là même sa dimension inspirante. Elle pose le cadre dans lequel les actions de l’entreprise, qu’elles soient internes ou externes, vont durablement s’inscrire.

Dès lors, comment écrire cette dernière phrase et ne pas prôner l’existence d’un lien évident entre Raison d’Être et stratégie ? Lien d’autant plus nécessaire que s’il n’existait pas, alors la Raison d’Être se résumerait à une simple démarche cosmétique avec toutes les conséquences négatives que l’on peut imaginer. Le lien entre Raison d’Être et stratégie n’est pas une option, c’est une obligation, ce qui explique pourquoi s’engager dans la définition de sa Raison d’Être n’est en rien un acte banal.

Mais une fois que l’on a dit cela, quelle est la nature de ce lien ? Comment vient-il influencer la réflexion stratégique ?

Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord essayer de définir ce qu’est la réflexion stratégique. Car aussi bizarre que cela peut paraître, ce concept n’a été que très peu défini. Pour ce faire, appuyons-nous sur deux définitions :

  • Réflexion : Retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner plus à fond une idée, une situation
  • Stratégie : Art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but

Dès lors une proposition de définition de la réflexion stratégique en entreprise pourrait être :

  • Analyse de la situation de l’entreprise afin de déterminer et coordonner les actions nécessaires à l’atteinte des buts qu’elle s’est assignés.

Cette proposition a ceci de particulier qu’elle dissocie réflexion stratégique et buts de l’entreprise. En effet, si l’entreprise a exprimé sa Raison d’Être, c’est celle-ci qui définit les buts supérieurs que l’entreprise s’est assignée. A contrario, si l’entreprise n’a pas souhaité exprimer sa Raison d’Être, il n’y a aucune raison qu’elle le fasse au cours de ce processus de réflexion stratégique. Dans ce second cas, le cadre dans lequel cette dernière s’inscrit reste beaucoup plus flou. Cela n’empêchera bien évidemment pas l’équipe dirigeante d’exprimer des objectifs stratégiques mais ceux-ci perdront inévitablement de la force et de la cohérence du fait de cette absence de but supérieur.

« Un taux de rendement des capitaux propres, un niveau de CA ou une part de marché ne peuvent en aucun cas être considérés comme des objectifs stratégiques. »

Si la Raison d’Être explicite le cadre dans lequel évolue l’entreprise, alors son absence présente le risque de produire des objectifs qui n’en sont pas ou qui n’apportent aucun souffle.

« La mise en œuvre d’une collaboration étroite entre l’entreprise et les meilleures écoles d’ingénieurs ». Quel souffle, voire quelle logique, déceler dans un tel objectif stratégique ? A sa lecture, il faut bien reconnaître que l’on ne comprend pas pourquoi l’entreprise souhaite développer ces collaborations. Il faudra donc nécessairement expliquer cet objectif et prendre le risque de le voir remis en cause. En revanche, si cet objectif est associé à une Raison d’Être telle que « résoudre les problèmes irrésolus par l’innovation » (Raison d’Être de 3M), alors il prend tout son sens et devient de fait beaucoup plus pertinent.

De même, prenons garde à des objectifs présentés comme stratégiques mais qui ne disent rien de ce que l’entreprise fait et des raisons pour lesquelles elle le fait. En particulier, il ne faut pas confondre objectifs stratégiques et KPI… Un taux de rendement des capitaux propres, un niveau de CA ou une part de marché ne peuvent en aucun cas être considérés comme des objectifs stratégiques. Ce sont des éléments de pilotage qui permettent d’évaluer si l’entreprise est sur la trajectoire lui permettant d’espérer atteindre ses buts, rien de plus.

On pourrait multiplier les exemples mais ces réflexions montrent à l’évidence que la Raison d’Être est nécessaire à la réflexion stratégique. En effet, si elle l’encadre, elle ouvre également les possibles, met en perspective les décisions stratégiques et accroit leur pertinence pour finalement inspirer salariés et parties prenantes. Puissance inspiratrice qui semble cruellement faire défaut à un taux de rendement des capitaux propres…

« La cohérence entre Raison d’Être et décisions stratégiques ne souffre aucune exception, dérogation ou atténuation. »

Ce lien entre Raison d’Être et valeurs fondamentales d’une part et réflexion et décisions stratégiques d’autre part étant acquis, il ne peut dès lors n’entrainer qu’une seule règle, intangible, : les dernières doivent en tout instant respecter ce que les premières expriment. Et ce n’est pas aller trop loin que de dire que cette cohérence ne souffre aucune exception, dérogation ou atténuation. C’est ce qui explique pourquoi une Raison d’Être ne doit pas être trop « ancrée dans son temps », trop en phase avec les sensibilités, valeurs et problématiques du moment et bien évidemment trop explicite sur l’activité de l’entreprise à l’instant T. En effet, du fait de sa pérennité, une définition trop limitante de sa Raison d’Être n’ouvre à l’entreprise que trois options à terme : la modifier au gré des évolutions de son activité et nier le principe même de Raison d’Être, la respecter strictement et en faire un carcan pénalisant pour la pérennité de l’entreprise ou (et l’on peut penser que cette option est celle qui prévaut la plupart du temps) l’oublier purement et simplement.

Cette exigence de cohérence absolue entre décisions stratégiques et Raison d’Être peut paraître excessive, voire extrémiste, mais dans un monde de l’image, où les réseaux sociaux sont devenus pour les entreprises des médias incontournables tout en échappant à leur contrôle, il est primordial de maintenir cette cohérence pour éviter de se faire « rattraper par la patrouille ». Retenir l’éthique comme valeur fondamentale et travailler dans un pays où l’on sait que rien ne se fait sans pots de vin mettra inévitablement l’entreprise concernée dans une position difficile. Une entreprise de communication qui citerait comme valeur fondamentale la durabilité aurait beaucoup de difficultés à justifier la prise en charge de la communication d’une major du pétrole.

Si cette exigence de cohérence peut paraître trop contraignante, il faut noter qu’elle peut aider le management de l’entreprise. En effet, au moment de prendre certaines décisions difficiles, l’existence de ce référentiel intangible peut servir de boussole au manager et l’aider à choisir la bonne option. La connaissance de ces principes permet également aux salariés concernés de mieux comprendre les raisons de la décision. Ceci est vrai des décisions stratégiques comme des décisions de management quotidien. Mais attention, pour ces dernières également, le recours à ces notions ne peut être uniquement opportuniste.

Les liens entre Raison d’Être, valeurs fondamentales et réflexion stratégique sont étroits et intangibles. Mais quels sont les outils qui permettent de structurer cette réflexion ?

Les outils de la réflexion stratégique

« L’analyse de la situation de l’entreprise se situe à la convergence de deux compréhensions : celle l’environnement de l’entreprise et celle de ses caractéristiques propres. »

Si nous revenons à la définition de la réflexion stratégique proposée plus tôt, on peut noter qu’elle propose trois étapes : l’analyse de la situation de l’entreprise, la détermination des actions à engager et la coordination de leur mise en œuvre.

La plus grande partie de la littérature consacrée à la stratégie en entreprise et la réflexion stratégique s’est majoritairement focalisée sur les outils nécessaires au premier aspect de la démarche. L’analyse de la situation de l’entreprise se situe à la convergence de deux compréhensions : celle de l’environnement de l’entreprise et celle de ses caractéristiques propres.

Concernant les outils destinés à aider à la compréhension de l’environnement de l’entreprise, il est possible de citer deux « standard » qui sont toujours aujourd’hui utilisés très largement par les entreprises ou les cabinets de conseil :

L’analyse des Forces de Porter permet d’évaluer l’intensité concurrentielle d’un marché (et donc la difficulté qu’il y a à s’y maintenir ou à l’intégrer) en évaluant cinq menaces externes :

Autre outil, qui a pour objectif de renforcer la capacité d’anticipation des transformations que l’environnement général de l’entreprise peut connaître, l’analyse PESTEL (Politique, Economique, Social, Technologique, Environnemental, Légal) aborde 6 sources d’évolution possibles. Evidemment très dépendant du secteur d’activité, ce modèle permet au chef d’entreprise de ne pas omettre d’élément important lorsqu’il cherche à comprendre son environnement et à identifier les évènements qui pourraient en modifier l’équilibre voire le déstabiliser profondément :

A côté de l’analyse de son environnement, la modélisation des caractéristiques internes de l’entreprise peut également s’appuyer sur des outils devenus des classiques et qui, bien qu’anciens, continuent encore à être très largement utilisés par les entreprises :

La matrice SWOT (Strenghs, Weakness, Opportunities, Threats) permet de mettre en perspective les forces et faiblesses de l’entreprise ainsi que les opportunités et menaces de son environnement. On voit tout l’intérêt de procéder avant son utilisation à une étude PESTEL qui permettra d’identifier les évolutions susceptibles de se muer en opportunités ou menaces, sachant que là aussi cette interprétation peut dépendre de l’activité de l’entreprise. Par exemple, une entreprise qui travaille dans le domaine des matériaux verra l’avènement de l’impression 3D comme une opportunité fantastique. A contrario, si elle est un fondeur spécialiste de la production de pièces détachées, alors cette technologie est évidemment une menace.

Pour affiner cette analyse, le concept de Domaine d’Activité Stratégique (DAS), qui organise l’activité de l’entreprise en domaines présentant des caractéristiques spécifiques et donc des contraintes et options stratégiques nécessitant des réponses particulières, est également largement utilisé.

Pour évaluer la capacité de l’entreprise à performer sur chacun de ses DAS, le modèle y associe une combinaison de Facteurs Clés de Succès (FCS), notion spécifique à chaque DAS et définie comme étant les facteurs indispensables à maîtriser pour pouvoir y exister.

Ces analyses peuvent enfin être synthétisées sur une matrice stratégique (ci-dessous) qui présente les différents DAS de l’entreprise, leur positionnement dans leur environnement, le niveau de maîtrise par l’entreprise des FCS attachés et l’approche stratégique qui serait a priori à mettre en œuvre.

Il existe plusieurs types de matrices stratégiques, celle présentée ci-dessous est le modèle In Extenso.

Cette matrice présente la combinaison [Attractivité du DAS / Maîtrise des FCS] pour chaque DAS de l’entreprise et propose une approche stratégique a priori cohérente avec la situation de l’enteprise.

« Et il n’est pas totalement absurde de penser que la traduction opérationnelle des décisions stratégiques est probablement plus pertinente si elle est réalisée par les opérationnels eux-mêmes. »

Si l’on cherche à synthétiser l’ensemble des outils utilisés le plus fréquemment aujourd’hui pour construire la réflexion stratégique, ceci peut être réalisé de la façon suivante :

Mais si ces outils permettent de sécuriser la réflexion stratégique en donnant à l’équipe dirigeante des informations les plus précises possibles sur les paramètres à prendre en compte, internes et externes, ils ne donnent aucune indication sur la manière de répondre avec efficience aux deux autres éléments cités dans la définition de la réflexion stratégique :

  • Quelles sont les actions à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs ?
  • Comment s’assurer que ces actions soient effectivement mises en œuvre ?

Or, la littérature sur ces questions plus opérationnelles est beaucoup plus limitée que celle sur la dimension conceptuelle de la réflexion stratégique. J’en veux pour preuve que les premières réflexions concernant la conduite du changement (cf articles sur le sujet), première tentative de penser la mise en œuvre opérationnelle d’évolutions induites par les décisions stratégiques, sont apparues au cours des années 1980-1990 pour traiter dans un premier temps uniquement la mise en œuvre de grands projets informatiques. Evidemment, comme l’ont montré de nombreuses études, cette lacune a entravé les entreprises dans la mise en œuvre opérationnelle de leur stratégie.

Ensuite, si la direction générale est dans ses prérogatives lorsqu’elle détermine le « quoi faire », il n’est pas certain qu’elle soit la mieux placée pour définir le « comment faire ». Et il n’est pas totalement absurde de penser que la traduction opérationnelle des décisions stratégiques est probablement plus pertinente si elle est réalisée par les opérationnels eux-mêmes. Serait-il possible alors que les difficultés rencontrées par les entreprises pour mettre en œuvre de façon opérationnelle leurs décisions stratégiques soient en partie dues au fait que la direction générale souhaite la plupart du temps tout définir et déterminer ? La question mérite a minima d’être posée. Nous tenterons d’y répondre dans le prochain article de cette série consacré à l’alignement stratégique.

La nécessité d’une approche alternative ?

« Mais aussi éprouvée soit-elle, cette approche traditionnelle intègre trois postulats qui peuvent brider la réflexion stratégique. »

Que ce soit à travers l’analyse PESTEL, l’approche par les scénarii ou les force de Porter, l’ensemble de ces outils part d’un postulat simple : Il faut aider l’entreprise à mieux comprendre et anticiper les évolutions d’un environnement qu’elle subit. L’objectif est de mieux comprendre le champ de bataille, de mieux anticiper ses évolutions. Cette compréhension permettra de défendre et renforcer la position concurrentielle de l’entreprise en identifiant les avantages stratégiques qu’elle peut mettre en œuvre et en les préservant. Ces avantages stratégiques s’articulent autour de l’une des trois stratégies génériques de domination :

Par les coûts : l’entreprise propose un produit équivalent à celui de ses concurrents à un prix inférieur. C’est la stratégie mise en œuvre par le hard discount par exemple

Par la différenciation : par la maitrise d’une capacité qu’elle est la seule à détenir, l’entreprise répond de façon exclusive ou quasi exclusive à une demande du marché. L’entreprise ASML exploite une technologie incomparable de gravure de galettes de silicium qu’elle est la seule à maîtriser et qui lui permet de détenir 90% du marché de la photolithographie DUV.

Par la focalisation ou concentration : L’entreprise identifie une part spécifique du marché, une niche, sur laquelle elle développe un avantage concurrentiel lié soit au coût, soit à la différenciation. La faible taille du marché dissuade les concurrents de l’attaquer. Le véhicule électrique était un marché de niche lorsque Tesla s’y en engagé. A noter que cette stratégie peut n’être que temporaire.

Mais aussi éprouvée soit-elle, cette approche traditionnelle intègre trois postulats qui peuvent brider la réflexion stratégique :

  • Le marché est compris comme un territoire délimité, fini sur lequel les entreprises s’opposent pour exister en défendant leurs positions au détriment des compétiteurs.
  • Les stratégies de domination sont elles aussi limitées autour de deux axes : les coûts ou la différenciation, la stratégie de concentration étant une dérivée de ces deux approches. Cette dernière étant par nature plus compliquée à mettre en œuvre et les deux autres exclusives l’une de l’autre dans l’approche proposée, on comprend que la stratégie de domination par les coûts est la stratégie préférentielle.
  • L’entreprise subit son environnement et n’a que très peu de prise sur son évolution. Ceci en particulier parce que dans cette vision, l’innovation est principalement vue d’une part comme accessoire et ensuite surtout comme incrémentale.

« Territoire limité », « Domination par les coûts », « Environnement subit ». Si la pensée stratégique est contrainte par ces trois caractéristiques, alors le risque d’uniformisation de la réflexion et des réponses induites est particulièrement important. Et si l’on pousse l’approche proposée à son paroxysme, alors ceci ne peut qu’exacerber la guerre des prix avec comme conséquence ultime pour l’entreprise deux issues possibles : la disparition, soit par la faillite soit par l’absorption, pour celles qui n’auront pas la capacité à soutenir la compétition, ou, pour celle qui maitrisera le mieux les paramètres du marché, la domination ultime c’est à dire le monopole. Evidemment cette évolution demanderait du temps mais on a déjà vu un marché purement concurrentiel produire de tels monopoles ou quasi-monopoles comme ceux d’AT&T, de la Standard Oil ou plus proche de nous de Google.

A lire : La réflexion stratégique : la raison d’être

« Si ces outils exacerbent une concurrence telle que même le vainqueur en sort potentiellement affaibli après avoir souffert mille maux, ne faudrait-il pas penser à une autre approche ? »

La question est donc la suivante : si ces outils exacerbent une concurrence telle que même le vainqueur en sort potentiellement affaibli après avoir souffert mille maux, ne faudrait-il pas penser à une autre approche ? Si les lois traditionnelles du marché rendent les confrontations entre compétiteurs toujours plus rudes, ne faudrait-il pas mieux refuser le combat et tenter d’ouvrir un espace concurrentiel nouveau dans lequel l’entreprise est la seule à intervenir, au moins pour un temps ?

La réponse à cette question s’est matérialisée dans une nouvelle approche stratégique appelée : « Stratégie Océan Bleu », conceptualisée par Renée Mauborgne et W. Chan Kim, par opposition à l’océan rouge du sang des compétiteurs qu’est l’espace concurrentiel traditionnel. Cette nouvelle approche ce ceci de particulier qu’elle reconnaît à l’entreprise la capacité d’influencer son espace concurrentiel au point de pouvoir en créer un nouveau, spécifique, dans lequel elle sera la seule à s’exprimer tant que les concurrents ne l’auront pas rejointe.

Cette évolution ne rend pas caduques tous les outils utilisés dans le cadre de l’approche « classique ». Elle met cependant l’accent sur trois notions importantes et peu mises en avant jusqu’à présent :

  • L’intimité non-client, le « cœur du réacteur »
    • La gestion des compétences et des savoirs
    • L’agilité et la capacité d’adaptation (bien plus nécessaires ici que dans l’approche traditionnelle)

Cette approche fournit aux entreprises une méthodologie d’analyse et de réflexion dont l’objectif est de créer un espace sans concurrence.

« Mais comment créer un tel espace sans concurrence ? Cela n’est-il pas plus proche de la chimère que de la réalité ? »

Une fois lancée, cette promesse de création d’un espace sans concurrence va nécessairement rencontrer le doute. Il est effectivement difficile d’envisager un tel espace, la concurrence étant la notion la plus présente dans la nature et le moteur même de son évolution.

Renée Mauborgne et W. Chan Kim ne se sont évidemment pas contenté de conceptualiser cette notion d’Océan Bleu. Ils ont donné des outils et une démarche pour permettre à ceux qui avaient envie de s’engager dans cette aventure de le faire. La démarche proposée, pour un marché donné, est la suivante :

  • Formalisation des critères qui ont aujourd’hui de la valeur pour les clients actuels, c’est ce que la méthode appelle le « canevas stratégique ». Cet outil (cf exemple ci-dessous) présente également l’importance relative pour les clients de chaque critère de la (ou des) proposition(s) de valeur « standard » faite(s) au marché.
  • Identification des « non-clients » et compréhension des raisons pour lesquelles ces non-clients, bien que proches du marché, satisfont leurs besoins ailleurs. Si l’on prend l’exemple de Nintendo avec sa WII (cf ci-dessous), ces non-clients proches sont des adeptes des jeux de sociétés ou de cartes par exemple qui ne sont pas attirés par les consoles de jeux. Pour quelles raisons ces personnes qui aiment les jeux se détournent-elles de cette proposition ? Les réponses à cette question permettront d’identifier de nouveaux axes de valeur à intégrer potentiellement dans la proposition au marché pour capter ces non-clients.
  • Alimentation de la « Grille des 4 actions » ou ERAC (Exclure, Renforcer, Atténuer, Créer). Cette grille formalise pour chacun des axes de valeur identifiés, anciens et nouveaux, l’approche que l’entreprise souhaite retenir. Les nouveaux peuvent être créés ou exclus, les anciens exclus, renforcés ou atténués. Comme dans le canevas d’origine, l’objectif est également de définir l’importance relative de chaque axe retenu dans la proposition.
  • Représentation du nouveau « canevas stratégique » qui met en évidence le nouveau « mix de valeurs » que l’entreprise a décidé de proposer au marché pour créer un « terrain de jeu » propre car correspondant uniquement à cette nouvelle proposition.

Ci-dessous, un exemple du canevas stratégique que Nintendo a produit en pensant à sa nouvelle console de jeu, la WII, arrivée sur le marché après la PS3 et la Xbox. On voit comment Nintendo a minimisé l’importance des axes de valeurs proposés par PS3 et Xbox, qui se battent sur un produit extrêmement similaire, pour emmener la console de jeux vers quelque chose de nouveau plus orienté partage et famille et moins performance technique.

Cette approche ne s’affranchit pas des outils « traditionnelles ». La compréhension de la nouvelle proposition de valeur à faire au marché peut s’appuyer sur une analyse PESTEL et la capacité de l’entreprise à y répondre peut être évaluée à travers une matrice SWOT. La spécificité de cette approche est cependant réelle et double :

  • Elle reconnaît à l’entreprise la capacité à influer sur son espace concurrentiel alors que l’approche traditionnelle considère cet espace comme une pure contrainte à intégrer.
  • Elle met en avant l’intimité client et non client à travers une compréhension fine des raisons pour lesquelles des clients potentiels, plus ou moins proches du marché en question, décident d’aller ailleurs, pour construire une proposition spécifique qui répondent à leurs attentes.

Enfin, son grand avantage est de permettre de proposer une offre spécifique et nouvelle sans pour autant nécessiter d’innovation technologique. La différence entre les deux approches, traditionnelle et Océan Bleu, peut être synthétisée de la façon suivante :

Mais cette approche présente des difficultés elles-aussi spécifiques. Car si la perspective d’une vie sans concurrence peut être tentante, il faut comprendre que cette approche impose de passer d’un environnement de marché dur mais connu à un espace concurrentiel dont on ne sait pas s’il sera fructueux ou pas. Ce saut dans l’inconnu, comme celui que fait Nintendo avec la WII, peut être mal accepté par les salariés et considéré comme trop risqué. Même si l’alternative est un combat sans pitié, les convaincre de prendre le contrepied du marché sera toujours difficile et demandera beaucoup de persuasion et de travail d’explication. Il n’aura certainement pas été facile de faire accepter aux ingénieurs de Nintendo qu’ils devaient produire une console moins performante techniquement que celle de leurs concurrents mais permettant des usages différents. L’Océan Bleu est peut-être un long fleuve tranquille mais il sera toujours difficile de convaincre les salariés que c’est bien le chemin à prendre.

Raison d’Être et Stratégie sont intimement liées, l’une conditionnant l’autre, la Raison d’Être permettant d’expliquer et justifier aux yeux des parties prenantes les axes stratégiques décidés par l’entreprise. Mais la réflexion stratégique ne peut se limiter à définir des objectifs aussi pertinents et inspirant soient-ils. La dimension « mise en œuvre opérationnelle » des décisions stratégiques est aussi importante que ce travail de réflexion.

Or, si les outils développés autour de la réflexion stratégique aident à la modélisation de la réflexion stratégique, ils oublient largement la question de la mise en œuvre opérationnelle. Et ceci est d’autant plus dommageable que les caractéristiques de ces outils ont tendance à entrainer les entreprises dans un combat concurrentiel continuel et par moment douloureux.

L’approche alternative « Océan Bleu », en donnant un espoir de développement sans combat, peut réduire l’anxiété des équipes face aux efforts parfois difficiles que la concurrence exacerbée impose. Elle génère cependant une part d’inconnue qui nécessite elle aussi un accompagnement étroit des salariés. Cet accompagnement, l’alignement stratégique, fera l’objet du prochain article de cette série.

A propos de L'auteur

Jean Michel Béziat

Directeur Marché PME

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