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Entre la reprise et la gestion des risques : un équilibre à trouver !
Date de publication : 15.06.20
Impérieuse nécessité à reprendre l’activité. Inquiétude des salariés vis-à-vis du travail en présentiel. Avantages mais aussi inconvénients d’une généralisation du télétravail. Activité réduite ou alors, au contraire, suractivité. … Et peut-être perspectives, ou déjà réalité, de difficultés économiques.
Que d’interrogations pour les entreprises ! Après le choc du confinement, le second lié au déconfinement est peut-être plus systémique encore !
Dans un contexte aussi inédit et sachant que l’activité législative/réglementaire n’a jamais été aussi intense depuis 3 mois, quelques éléments de réflexion et pistes de solutions peuvent être appréhendés sous le sceau des différentes facettes d’une reprise d’activité pour l’entreprise.
Reprise d’activité et activité partielle :
Maintien mais réaménagement du régime de l’activité partielle
Le recours massif au régime de l’activité partielle (plus de 13 millions de salariés en AP et environ 6 milliards d’heures chômées demandées) est toujours d’actualité et reste une solution, au moins temporaire, pour les entreprises confrontées à une réduction (voire une suppression) de toute activité. Toutefois, c’est vers une modulation de sa prise en charge que l’on s’oriente.
Alors que le taux de droit commun de l’allocation versée aux entreprises était de 100% (dans la limite de 4,5 SMIC) de l’indemnité versée aux salariés, il va passer à effet du 1er juin 2020 à 85% entrainant donc un reste à charge plus important pour les entreprises. Il restera à titre dérogatoire à 100% pour certains secteurs limitativement énumérés, tels que le tourisme et la restauration (Projet d’ordonnance soumis le 12 juin 2020 aux partenaires sociaux).
Organiser une reprise encore fragile et sans les salariés en arrêts de travail dérogatoires : la solution de l’individualisation de l’activité partielle
L’activité partielle est en principe une mesure collective. Elle doit viser de façon identique l’ensemble des salariés de l’entreprise, d’un établissement, d’un service ou d’un atelier. Ce principe se heurte aux spécificités d’une reprise souvent encore fragile, voire incertaine et qui au surplus doit se faire sans les salariés en arrêts de travail dérogatoires (salariés vulnérables, ayant des proches vulnérables ou devant garder les enfants) qui sont placés en activité partielle.
Dès lors pour apporter de la souplesse aux entreprises, l’ordonnance du 22 avril 2020 permet une «individualisation » de l’activité partielle. Celle-ci permet d’organiser le travail de telle sorte qu’une partie seulement des salariés de l’entreprise, d’un établissement, d’un service ou d’un atelier reprenne leurs fonctions, quand bien même ils appartiennent à la même catégorie professionnelle. Il est donc possible d’appliquer à ces salariés une répartition différente des heures travaillées et non travaillées.
Pour y parvenir et sous réserve que soient fixées des conditions objectivant la situation (telles que par exemple la détermination des compétences identifiées comme nécessaires au maintien ou à la reprise de l’activité), il faut soit un accord d’entreprise, soit un avis favorable du CSE. Pour les entreprises non éligibles à l’obligation d’avoir un CSE, un accord recueillant les 2/3 des suffrages du personnel est donc suffisant.
Rester vigilant sur l’utilisation de l’activité partielle
La généralisation dans l’urgence de l’activité partielle et la massification des autorisations données par les DIRECCTE ne doivent pas faire oublier que l’Administration a la ferme intention de procéder à des contrôles a posteriori.
« Le Ministère a mis en place un système de contrôle intensif … 50 000 contrôles d’ici la fin de l’été seront effectués »
Muriel Pennicaud, Ministre du travail, 8 juin 2020
Les entreprises ayant donc bénéficié d’allocations d’activité partielle devront donc être notamment en mesure de justifier de la régularité et la justesse de leurs demandes d’indemnisation. En d’autres termes, et par exemple, maintenir les salariés en activité partielle totale tout en les faisant télétravailler est constitutif d’une fraude (remboursement des aides, sanctions pénales …).
Vigilance également au regard des règles relatives aux élections du CSE. Sauf à prendre le risque d’avoir à rembourser les allocations reçues, les entreprises d’au moins 11 salariés qui n’ont pas encore procédé à des élections du CSE devront impérativement le faire d’ici le 31 août prochain.
Reprise d’activité et télétravail
Il est manifeste que dès le début de la crise sanitaire, nous avons assisté à un recours inédit et dans l’urgence au télétravail.
Organisé souvent dans la précipitation, le télétravail a présenté bien des avantages (poursuite de l’activité, découverte des visioconférences, fin des transports quotidiens) mais aussi bien des inconvénients car « le maintien d’un collectif est indispensable » (Professeur Bernard Gauriau, LSQ 10 juin 2020).
Il appartient dès lors aux entreprises d’y réfléchir sérieusement pour l’envisager de façon pérenne, notamment en combinant travail en présentiel (une nécessité) et télétravail (une demande des salariés, une efficacité reconnue).
A ce titre, les dispositions légales déjà en vigueur avant la crise sanitaire ont apporté de la souplesse permettant la mise en place du télétravail soit sous forme d’accord, soit avec une charte, soit même avec un simple échange de consentement entre l’employeur et le salarié.
Les points importants à traiter en particulier :
- Détermination des postes éligibles,
- Les modalités & combinaison entre la part de présentiel et la part de télétravail,
- Les modalités de retour au tout présentiel,
- La question d’une éventuelle indemnisation (non obligatoire dans le cadre d’un accord) des télétravailleurs.
La question du télétravail reste d’une totale actualité car les syndicats, tirant les leçons de l’expérience du confinement, veulent engager une négociation interprofessionnelle pour revoir les dispositions anciennes issues de l’ANI de 2005.
Reprise d’activité et sécurité
Une sécurité assurée par l’employeur
Il convient de rappeler que l’employeur est soumis à une obligation de moyen renforcé quant à la sécurité qu’il doit à son personnel. Il lui appartient donc de mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires.
Dans le cadre de la crise actuelle et de la reprise d’activité autorisée depuis le 11 mai 2020, l’employeur doit au titre de cette obligation :
- procéder à une réévaluation des risques (et en particulier des risques épidémiologiques) en y associant les représentants du personnel et en s’appuyant sur les services de santé au travail pour les accompagner,
- et prendre les mesures adéquates.
Pour illustrer et concrétiser cette obligation, l’employeur doit transcrire ce travail d’évaluation et de mesures à prendre dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (le DUERP).
A noter que l’employeur pourra utilement consulter les « questions/réponses » et autres fiches conseils du Ministère du Travail.
Mais une obligation de sécurité qui pèse aussi sur le salarié :
En sorte de parallélisme des formes et des obligations, le code du travail fait également peser sur le salarié une obligation de sécurité (article L 4122-1).
Chaque salarié « doit prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité, ainsi que celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ».
Ne pas respecter les mesures prises par l’employeur pour assurer la sécurité de la reprise peut donc constituer une faute disciplinaire.
Un objectif : limiter les possibilités de droit de retrait :
Aux termes des dispositions légales (article L 4131-1 du code du travail), un salarié doit alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail « dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ».
Il est évident que si dans la concertation tant avec le personnel qu’avec ses représentants, ont été mises en place toutes les mesures nécessaires de prévention (gestes barrières, effectif limité dans les locaux, …), le droit de retrait aura moins de justification à s’appliquer.
Une multiplicité d’exercices du droit de retrait serait donc pour une entreprise un fort handicap à l’efficacité de sa reprise.
Reprise d’activité et licenciements économiques
Il convient de rappeler qu’à ce jour, aucune disposition légale n’a été prise pour interdire ou restreindre les licenciements économiques.
Face à un arrêt brutal de toute activité, le recours massif à l’activité partielle a été clairement un amortisseur indispensable, répondant en cela à sa finalité : les perturbations conjoncturelles ne doivent pas entrainer immédiatement des licenciements économiques.
Toutefois, une fois opérée la généralisation de la reprise, les difficultés économiques ne vont pas pour autant disparaitre et souvent les entreprises auront à s’adapter, à trouver de nouvelles organisations et peut-être à envisager une réduction de leur masse salariale et de leur effectif.
Si le licenciement économique est une solution, il n’est qu’une option parmi d’autres possibilités qui sont à exploiter, d’autres alternatives à envisager.
Parmi celles-ci, citons au premier chef l’Accord de Performance Collective (APC). Il permet dans un cadre négocié d’optimiser et de maitriser l’organisation du travail et ses couts.
L’atout majeur de l’APC est qu’il s’impose aux clauses contraires des contrats de travail et peut donc, par exemple, imposer une réduction ou une restructuration de la rémunération, ou imposer une réduction ou une augmentation du temps de travail (sans contreparties financières). Les salariés qui refuseront (et c’est leur droit) feront l’objet d’un licenciement non économique et surtout non contestable.
Il est important de rappeler qu’aux termes des Ordonnances MACRON de septembre 2017, la négociation collective, et donc l’APC, est également accessible aux TPE/PME qui ne disposent ni de délégués syndicaux, ni de CSE. Bref, c’est objectivement le moment de « penser APC » !
Au titre des alternatives, nous sommes dans l’attente d’un nouveau dispositif légal, a priori dénommé « Activité réduite pour le maintien en emploi ». Le principe serait une amélioration des conditions d’indemnisation des salariés et de remboursement aux entreprises. En contrepartie et sous réserve de disposer d’un accord (ou d’un acte unilatéral ?), des engagements seraient pris par les entreprises en termes d’emploi, l’ensemble faisant l’objet d’une validation/homologation par la DIRECCTE.
En conclusion, la généralisation à venir de la reprise d’activité doit permettre aux entreprises de trouver le « bon chemin », le « juste équilibre », celui qui permet à la fois d’assurer la sécurité du personnel, de s’adapter à une nouvelle situation économique, et d’assurer leur pérennité et le plus d’emplois possible.
A propos de L'auteur
Pierre-Jacques Castanet
Avocat à la cour, spécialisé en droit du travail
Pierre-Jacques Castanet dirige le Département droit social du cabinet In Extenso Avocats d’Ile de France. Il est spécialisé en droit du travail et de la protection sociale.
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