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L’employeur face au Coronavirus : Gérer les inquiétudes des salariés
Date de publication : 10.03.20
La pandémie de Coronavirus (COVID-19) continue de défrayer la chronique. Le 8 mars dernier, le gouvernement a, de nouveau, annoncé une batterie de mesures destinées à limiter la propagation du virus.
Alors que le pays devrait prochainement passer au niveau 3 du plan de lutte contre le Covid-19, les inquiétudes de la population sont de plus en plus élevées. Elles rejaillissent bien évidemment dans l’entreprise.
Les employeurs sont quotidiennement confrontés aux difficultés liées à la pandémie qui s’annonce. Ils sont confrontés à l’inquiétude croissante des salariés et, parfois, à la maladie qui affecte certains d’entre eux. Les employeurs vont donc devoir faire face à une crise dont les répercussions sur l’économie restent difficiles à évaluer mais qui, déjà, leur impose de s’adapter au plus vite.
A lire : L’employeur face au Coronavirus : la prévention
Les inquiétudes engendrées par la propagation du Coronavirus sur le territoire français peuvent conduire les salariés à s’interroger sur les risques qu’ils prennent en se rendant au travail. A ce titre, ils peuvent parfois envisager d’avoir recours au droit de retrait. Les agents du musée du Louvre ont été les premiers en France à exercer ce droit en raison de leur proximité avec des touristes « potentiellement » contaminés. L’usage d’un tel droit, dans une situation largement extérieure à l’entreprise interroge. D’autant que les représentants du personnel peuvent, pour leur part, alerter utilement l’employeur des risques encourus par les salariés.
Ces deux méthodes de protection de la santé des salariés risquent fort d’être, rapidement, au centre des préoccupations des employeurs.
Pandémie de Coronavirus : L’employeur face au droit de retrait des salariés
Le droit de retrait permet à un (ou plusieurs) salarié (s) de quitter leur poste de travail lorsqu’ils estiment qu’ils sont en danger.
Mais l’usage du droit de retrait est strictement encadré par l’article L. 4131-1 du Code du travail qui précise que :
« Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. »
Ainsi, l’usage de droit de retrait suppose que trois conditions soient réunies :
- D’une part, le salarié doit aviser son employeur au plus tard lorsqu’il exerce son droit de retrait ;
- D’autre part, le salarié doit avoir « un motif raisonnable » de penser qu‘une situation de travail présente un danger pour sa sécurité ;
- Enfin, le danger auquel est exposé le salarié doit être « grave et imminent ».
Aucune sanction, aucune retenue de salaire, ne peut être adoptée à l’encontre d’un salarié ayant exercé légitimement son droit de retrait puisque la cour de cassation a souligné, dans un arrêt rendu le 28 janvier 2009 (n°07-44.556), que :
« Attendu d’une part qu’aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif légitime de penser qu’elle présentait une danger grave ou imminent pour chacun d’eux ; d’autre part que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection et de sécurité au travail, doit en assurer l’effectivité ; qu’il s’ensuit qu’est nul le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice légitime par le salarié du droit de retrait de son poste de travail dans une situation de danger »
Ainsi, le licenciement d’un salarié ayant valablement exercé son droit de retrait est nul.
A l’inverse, si le salarié exerce illégitimement son droit de retrait, l’employeur peut :
- Procéder à une retenue sur salaire pour les périodes concernées par le droit de retrait ;
- Licencier le salarié, le cas échéant, pour faute grave (Voir notamment : CA Metz, 14 Janvier 2020 – n° 17/01236).
Compte tenu des principes précédemment énoncés, les salariés peuvent-ils exercer leur droit de retrait au seul motif qu’ils sont susceptibles d’entrer en contact avec une personne (client, prestataire, autre salarié…) ayant contracté le Coronavirus (COVID-19 ?
Le ministère du travail a répondu à cette question, dans un « questions/réponses » diffusé le 28 février 2020, que :
« en situation de crise, les possibilités de recours à l’exercice du droit de retrait sont fortement limitées, dès lors que l’employeur a pris les mesures de prévention et de protection nécessaires, conformément aux recommandations du gouvernement ».
Cette réponse, pour le moins sibylline, fait écho à une position ministérielle diffusée le 3 juillet 2009 (Circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009) qui indiquait plus précisément que :
« Le droit de retrait vise une situation particulière de travail et non une situation générale de pandémie ; c’est pourquoi l’existence d’une pandémie grippale ne suffit pas, en soi, à justifier l’exercice du droit de retrait, dès lors que l’entreprise a mis en œuvre l’ensemble des mesures prévues par le code du travail et par les recommandations nationales pour assurer la protection de la santé des travailleurs ».
Désormais, le Ministère n’est plus aussi catégorique sur l’exercice du droit de retrait. Il semble indiquer que l’analyse de la légitimité du droit de retrait s’effectuera au cas par cas. Elle devra, selon toute vraisemblance, être examinée à l’aune du faisceau d’indice suivant :
- Le lieu de travail du salarié, notamment s’il se trouve dans un « cluster », c’est-à-dire un foyer de contamination ;
- Les risques inhérents au poste occupé par le salarié et plus précisément la nature des contacts imposés avec d’autres personnes ;
- Les conditions d’hygiène et de sécurité dans l’entreprise et notamment les éventuels dispositifs de protection mis à disposition du salarié par l’employeur ;
- La fragilité du salarié concerné (femme enceinte, salarié malade ou immunodéprimé etc…) ;
- Le respect des recommandations nationales par l’employeur.
En tout état de cause, l’usage du droit de retrait doit être cantonné à des situations où l’employeur aura été d’une singulière négligence. En effet, la pandémie qui s’annonce n’est pas liée à l’activité d’une entreprise, quelle qu’elle soit, mais à la mondialisation de l’économie. Il serait, dès lors, totalement inéquitable de rendre les employeurs partiellement responsables d’une crise dont ils sont les premières victimes.
A lire : Ebook – La gestion du personnel en 7 règles d’or !
Pour finir, dans son questions/réponses du 28 février 2020 le Ministère du travail a indiqué de manière totalement péremptoire que :
« l’exercice non fondé de ce droit [de retrait] ne caractérise pas l’existence d’une faute grave, mais peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ».
Une telle affirmation nous semble particulièrement contestable puisque :
- D’une part, elle est contraire à la jurisprudence jusqu’à présent adoptée par les juridictions sociales ;
- D’autre part, si cette position devait être adoptée par les tribunaux, elle ferait courir un grand risque pour les entreprises, déjà fragilisées par une crise mondiale. En effet, des employeurs déjà pénalisés en raison de l’exercice illégitime du droit de retrait par tout ou partie de leurs salariés devraient, parallèlement leur accorder le bénéfice d’un préavis (alors qu’ils refusent de travailler) et leur verser leur indemnité de licenciement.
Le Ministre du travail doit, à notre sens, revenir sans délai, sur cette position.
La gestion du droit d’alerte des représentants du personnel
La pandémie qui préoccupe le pays met également en lumière l’importance des institutions représentatives du personnel dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des salariés.
Confrontés à des salariés inquiets des conséquences du COVID-19 sur leur activité, les membres du comité social et économique (CSE) peuvent envisager d’avoir recours à leur droit d’alerte.
A ce titre, l’article L. 4132-2 du Code du travail précise que :
« Le représentant du personnel au comité social et économique qui constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe un risque grave pour la santé publique ou l’environnement en alerte immédiatement l’employeur. L’alerte est consignée par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. L’employeur examine la situation conjointement avec le représentant du personnel au comité social et économique qui lui a transmis l’alerte et l’informe de la suite qu’il réserve à celle-ci ».
Ainsi, le CSE peut, s’il constate l’existence d’un danger grave et imminent, alerter l’employeur.
Le représentant du personnel qui aura utilisé son droit d’alerte devra porter son avis dans un registre spécial, qu’il devra dater et signer. Le représentant mentionnera :
- Le ou les postes concernés,
- La nature du danger,
- La cause du danger,
- Le nom du ou des travailleurs exposés.
L’employeur devra alors immédiatement diligenter une enquête, menée conjointement avec le représentant du personnel.
L’enquête devra permettre de contrôler la réalité de la situation dénoncée par le représentant du personnel et de prendre les mesures nécessaires afin de faire cesser le danger.
Si l’employeur et le représentant du personnel ne s’accordent pas sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, l’employeur devra provoquer une réunion extraordinaire du CSE, qui devra se réunir d’urgence, dans un délai n’excédant pas 24 heures. L’employeur devra également informer immédiatement l’inspecteur du travail et l’agent du service de prévention de la CPAM, qui pourront assister à la réunion du CSE.
Au cours de la réunion, l’employeur cherchera à obtenir l’accord de la majorité du CSE sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution. Si cette majorité n’est pas atteinte, l’employeur devra immédiatement saisir l’inspecteur du travail, qui prendra la décision :
- Soit de mettre en demeure l’entreprise de prendre toutes mesures utiles pour remédier à la situation dangereuse (procédure de l’article L. 4721-1 du Code du travail) ;
- Soit de saisir le juge des référés qui pourra ordonner toutes les mesures propres à faire cesser le risque constaté.
Dans cette procédure, l’employeur devra être particulièrement réactif et très précis tant dans l’analyse des risques identifiés par le représentant du personnel que dans l’appréciation des mesures à prendre pour faire cesser ce risque.
Dans le contexte du Coronavirus, l’usage du droit d’alerte des représentants du CSE semble plus approprié que l’usage du droit de retrait et ce, pour les motifs suivants :
- D’une part, le droit d’alerte permet d’indiquer précisément à l’employeur la situation qui expose les salariés à un risque de contamination ;
- D’autre part, l’employeur a la possibilité de prendre les mesures correctrices et, ainsi, permettre aux salariés de poursuivre leur activité ;
- Ensuite et surtout, le droit d’alerte n’a pas immédiatement un impact sur l’activité de l’entreprise et sur la poursuite du travail par les salariés.
En conclusion, sauf exception, le droit de retrait accordé aux salariés apparaît totalement inadapté et disproportionné à la crise engendrée par le Coronavirus. Ce moyen de protection ne doit être utilisé qu’en cas de négligence de l’employeur et de non-respect des consignes gouvernementales.
En revanche, le droit d’alerte semble parfaitement convenir aux circonstances puisqu’il permet, dans une situation anxiogène, de privilégier le dialogue et la concertation.
A propos de L'auteur
Thibaut De Leiris
Juriste Conseil Social
Spécialiste en droit du travail et de la protection sociale chez In Extenso Avocats
Stanislas Dublineau
Avocat associé chez In Extenso Avocats
Stanislas est titulaire d’un doctorat de droit privé. Avocat depuis 2004, il exerce son activité exclusivement en droit social et conseille des entreprises de toute taille ainsi que des syndicats patronaux et des organismes professionnels chez In Extenso Avocats.
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