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Adaptation du cadre législatif en matière contractuelle face au COVID-19

Date de publication : 01.04.20

Coronavirus - covid-19FiscalitéGestion | PilotageJuridiquePME

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Le 25 mars 2020, lors du Conseil des Ministres, dans le prolongement de la loi d’urgence votée par le Parlement, 26 ordonnances ont été étudiées pour adapter diverses législations dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire du coronavirus. Ces ordonnances ont été publiées au Journal Officiel le 26 mars 2020 et sont dorénavant applicables. Plusieurs décrets sont déjà parus et viennent compléter ces ordonnances.

Dans le cadre de la lutte contre l’épidémie du COVID-19 et dans la suite de la loi d’habilitation votée par le Parlement, le Conseil des Ministres a étudié, le 25 mars 2020, 26 premières ordonnances ayant pour vocation d’adapter les réglementations notamment dans le secteur social et du droit des affaires outre, bien évidemment, les autres réglementations concernant la vie sociale et la gestion de la crise sanitaire sur les aspects. Le Gouvernement avait en effet annoncé son intention, dans un temps très bref compte tenu de l’urgence économique qui s’est fait l’écho de la crise sanitaire que connaît le pays actuellement, de prendre plusieurs mesures d’adaptation temporaires pour les entreprises et les particuliers afin de leur permettre de bénéficier de souplesses réglementaires. L’objectif annoncé demeure de permettre un rebond un accompagnement les entreprises dans un premier temps, mais également les populations en précarité financière pendant la période de crise sanitaire actuelle.

Ces ordonnances ont été publiées le 26 mars 2020 au Journal Officiel et sont dorénavant applicables. Elles créent un cadre juridique dérogatoire qui remplace ou complète les règles de droit commun qui reprendront leur effet normal à l’issue de l’échéance des ordonnances.

Il convient d’ores et déjà de rappeler que ces ordonnances, si elles fixent des règles dérogatoires pour une certaine période ne suppriment pas les textes d’ordre public qui demeurent applicables dans de très nombreux cas. En effet, nous insistons sur le caractère limité dans le temps des mesures prises mais également sur leur périmètre (seules certaines entreprises sont visées ou pour des secteurs particuliers).

Dans cet article, nous vous proposons de retrouver de manière synthétique plusieurs ordonnances visant à instaurer plusieurs amendements au Code Civil et au Code de commerce pour l’essentiel en matière contractuelle.

Les mesures sociales, financières, du droit des sociétés et l’accompagnement économique des entreprises (notamment les Prêts Garantis d’Etat, l’accompagnement par BPIFrance, les aides sociales par les caisses de SSI, URSSAF, …) ne sont pas analysées ici et feront l’objet d’une analyse par nos conseillers économiques dans un article à paraître prochainement.

A lire : Droit des contrats et coronavirus : paiement des loyers et des factures

Quel texte applicable ? : Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 prévoit les modalités d’application en matière de contrats publics).

Le Covid 19 constitue-t-il un évènement de force majeure pour les contrats relevant du droit public ?

Oui. L’article 1218 du Code Civil définit la force majeure comme un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Elément essentiel en matière contractuel, il permet d’obtenir la résolution de contrat ou sa révision sur le fondement de l’imprévision.

Le Gouvernement avait annoncé dès le début que pour les contrats d’Etat, la notion de force majeure serait retenue dans le cadre de la crise sanitaire du COVID19.

Il apparaît que cette notion a été étendue pour les contrats passés avec les régions et serait en cours de généralisation pour l’ensemble des contrats de marchés publics.

A l’appui de cette position, il peut être intéressant de consulter également une jurisprudence récente du Cour d’Appel de Colmar ayant conclu à la reconnaissance de la qualification d’évènement de force majeur pour le  COVID19en droit public (CA Colmar 12 mars 2020, RG n° 20/01098) statuant en matière de rétention et de droit des étrangers. Il conviendrait bien évidemment d’attendre la position du Haut Conseil sur ce point.

L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 prévoit les modalités d’application en matière de délai public et de traitement de commandes publiques.

Les autorités contractantes auront la possibilité de proposer un allongement des délais de réception de candidature et des offres dans le cadre de passation de commandes publiques. Chaque organe ou autorité contractante serait libre de fixer ces modalités et les nouvelles conditions de soumission des offres.

L’ordonnance prévoit par ailleurs différentes dérogations au Code des marchés publics afin de permettre aux autorités contractantes de bénéficier d’assouplissement en terme de délais de paiement, de renouvellement, de contrats complémentaires ou de renouvellement, sans nécessairement avoir recours à la mise en concurrence, sous réserve d’une stricte égalité des candidats soumissionnaires.

Quel texte applicable ? : Article 1218 du Code Civil

Le Covid-19 constitue-t-il un événement de force majeure pour les contrats privés ?

Pas nécessairement. A ce jour ni le Gouvernement, ni le législateur n’ont retenu la qualification de force majeure pour la crise sanitaire du COVID-19 en matière de contrats relevant du droit privé.

La force majeure est qualifiée en cas de réunion de trois éléments :

  • Imprévisible : qui ne peut être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat
  • Irrésistible : dont les effets ne peuvent être évités par les mesures appropriés
  • Extérieur : événement qui échappe au contrôle du débiteur d’une obligation

Une partie de la doctrine prend acte de la jurisprudence de Colmar évoquée ci-avant pour généraliser l’appréciation du COVID-19 comme cause de force majeure. Cette analyse extensive nous semble risquée à ce jour et peu conforme à la doctrine applicable lors de crises sanitaires antérieures pour lesquelles le raisonnement en droit public n’avait pu être étendu en matière de droit privé. Il faut donc émettre des réserves à ce jour sur ce point.

Il convient de regarder au cas par cas si ces éléments sont réunis pour invoquer cet élément. Certaines entreprises auront la tentation de solliciter la révision ou la résolution du contrat au motif que la Crise sanitaire les mets dans l’impossibilité d’exécuter leurs prestations.

Il va de soi qu’il sera nécessaire, outre la possibilité de ramener la preuve de l’existence de la force majeure, de prouver également le lien de causalité entre cette crise et l’impossibilité de toute activité ainsi que le dommage causé pour pouvoir engager la responsabilité en matière contractuelle ou la résolution du contrat.

Il convient donc de vous rapprocher de vos conseils juridiques habituels pour évaluer les possibilités de résiliation ou l’impact du Covid-19 sur la gestion de vos contrats au sein de vos entreprises. Nos conseillers et experts restent à votre disposition pour ce faire.

Que dit l’article 1218 ?

Modifié par Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 – art. 2
Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
 
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

Quel texte applicable ? : Articles 1195 et 1218 du Code Civil

Si le Covid-19 constitue un événement de force majeure pour les contrats privés, quels en sont les effets ?

Le recours à la notion de force majeure permet :

  • De solliciter la suspension du contrat et de ses effets notamment en terme de responsabilité : ainsi le non-respect des conditions du contrat (absence de paiement du prix, non livraison des prestations…) ne constituent pas une faute pouvant entraîner des pénalités ou la résolution du contrat.
  • De solliciter la révision du contrat ou sa résolution en faisant application du mécanisme de l’imprévision contractuelle (voir ci-après).

Le but évident pour les parties, de notre point de vue, n’est pas de rompre un contrat pour cause de crise sanitaire quelle que soit son ampleur mais d’en adapter les règles prévues dans un autre contexte pour que ses conditions soient acceptables dans le nouvel environnement juridique et civil actuel, en ménageant, tant que faire se peut, l’équilibre des relations entre créanciers et débiteurs dans le contrat.

Adaptation du cadre législatif en matière contractuelle face au COVID 19

Pour autant, rien n’est systématique à ce jour sur ce point et le raisonnement doit être le suivant :

  • Il convient en premier lieu de se rapprocher du cocontractant pour déterminer les possibilités de conclure un nouvel accord
  • Si aucun accord ne peut être conclu mais que la poursuite du contrat apparaît impossible : envisager sa révision si les conditions le permettent (report, suspension, réduction de prix…)
  • A défaut de pouvoir réviser le contrat : il pourra être fait application du mécanisme de l’imprévision comme cause de résolution du contrat : A ce titre il convient de rappeler que ce mécanisme suppose un accord des parties dans de nombreux cas. Et qu’à défaut d’accord sur la résolution du contrat, ce sera au juge de trancher. Ces litiges ne pourront être traités qu’a posteriori, d’où l’importance d’engager des négociations pour éviter toute mauvaise foi ultérieure.

Si le Covid-19 constitue un événement de force majeure pour les contrats privés, comment dois-je procéder ?

Les mécanismes et recommandations ci-après sont applicables à tous les contrats de droit privé. Même si plusieurs ordonnances (évoquées après) prévoient des mécanismes dérogatoires qui s’ajoutent à ceux évoqués ici, il convient de garder en tête ces raisonnements qui restent applicables à tous contrats.

1er cas : Si l’activité exercée fait partie des activités pour lesquelles le législateur ou l’Administration a prononcé une interdiction pure et simple d’exploitation : par exemple pour l’hôtellerie, la restauration traditionnelle…

Le décret n° 2020-260 ne fixe pas de liste exhaustive des activités et des entreprises soumises à une fermeture administrative. Néanmoins ces fermetures peuvent être induites des catégories 1 à 5 de restrictions visées au déplacement des populations.

En pareil cas, la crise sanitaire peut constituer un évènement de force majeure assez évident pouvant être retenu pour demander la résolution du contrat ou a minima sa révision pour que les conditions du contrat soient acceptables.

2ème cas : Si l’activité exercée ne fait pas partie des activités pour lesquelles le législateur ou l’Administration a prononcé une interdiction pure et simple d’exploitation, il n’apparaît pas évident de pouvoir bénéficier automatiquement du recours à la force majeure comme élément de résolution du contrat. Seule une négociation avec le cocontractant a des chances d’aboutir.

Il convient donc de vous rapprocher de vos conseils juridiques habituels pour évaluer les possibilités de résiliation ou l’impact du Covid-19 sur la gestion de vos contrats au sein de vos entreprises. Nos conseillers et experts restent à votre disposition pour ce faire.

Dans tous les cas, le raisonnement doit être le suivant :

Analyser la situation au regard des décrets de fermeture

  • L’entreprise est soumise à une fermeture contrainte sans poursuite possible d’activité
    Possibilité d’invoquer le Covid-19 comme cause de force majeure
  • L’entreprise n’est pas soumise à une fermeture contrainte sans poursuite possible d’activité mais ne peut poursuivre ses activités ou du moins dans des conditions financières similaires
    Possibilité de révision des clauses du contrat par accord des parties ou en invoquant l’imprévision (sous réserve que le contrat ne l’exclut pas)
  • L’entreprise n’est pas soumise à une fermeture contrainte sans poursuite possible d’activité et peut poursuivre ses activités
    Possibilité uniquement de révision des clauses du contrat par accord des parties. A défaut poursuite du contrat

Analyser la situation au regard des capacités de l’entreprise à poursuivre son activité

  • L’entreprise ne peut poursuivre ses activités ou du moins dans des conditions financières similaires
    Possibilité de révision des clauses du contrat par accord des parties ou en invoquant l’imprévision (sous réserve que le contrat ne l’exclut pas)
  • L’entreprise peut poursuivre ses activités
    Possibilité uniquement de révision des clauses du contrat par accord des parties. A défaut poursuite du contrat

Analyser les termes du contrat au regard des clauses de révision

  • Le contrat a été conclu avant le 12 février 2016 (réforme du droit des obligations)
    Poursuite du contrat sans modification sauf accord des parties
  • Le contrat a été conclu après le 12 février 2016 (réforme du droit des obligations)
    Le contrat peut se poursuivre avec des conditions similaires :
    Poursuite du contrat sans modification sauf accord des parties.

    Le contrat peut se poursuivre mais dans des conditions plus onéreuses ou plus contraignantes pour une des parties et une clause de révision figure dans le contrat (en prévoyant le mécanisme de l’imprévision)
    La loi oblige les cocontractants à renégocier les termes du contrat de bonne fois sauf à avoir exclu volontairement l’application de la théorie de l’imprévision. Dans les cas les plus graves, la révision étant impossible, il convient d’opter pour la résolution (l’annulation du contrat).

    La partie la plus diligente peut demander la révision du contrat sur le fondement de la clause d’imprévision. Si l’autre partie refuse et que le cas de force majeure est reconnu, les effets du contrat sont suspendus et ne peuvent entraîner résiliation du contrat. Si l’autre partie refuse de voir appliquée la clause d’imprévision tout dépendra de la position du juge en cas de litige devant les tribunaux :

    – Si le juge confirme l’existence d’un cas de force majeure, le cocontractant ayant refusé son application pourrait se voir appliquer des dommages intérêts

    – Si le juge conclu à l’absence d’un cas de force majeure, le cocontractant, ayant refusé d’exécuter ses prestations, pourrait être contraint à des dommages et intérêts et/ou à la résolution du contrat par voie judiciaire pour non-respect du contrat. Il convient donc d’être très vigilant dans l’utilisation de cette procédure et sur la formulation du courrier à adresser au cocontractant.


    Le conseil de nos experts : A ce titre nous recommandons en premier lieu des échanges informels entre cocontractants pour évaluer les chances d’une renégociation.

  • Le contrat peut se poursuivre mais dans des conditions plus onéreuses ou plus contraignantes pour une des parties et une clause exclut spécifiquement le mécanisme de l’imprévision.
    Possibilité uniquement de révision des clauses du contrat par accord des parties à défaut de clause contractuelle de révision.

A lire : Report des assemblées générales et conseils d’administration en période de confinement

Quel texte applicable ? : Articles 1195 et 1218 du Code Civil

Pour les contrats relevant du secteur touristique, y-a t-il des dérogations particulières ?

Oui. Une des ordonnances adapte les règles contractuelles pour le secteur touristique particulièrement impacté par la crise sanitaire. Néanmoins disons le immédiatement, cette mesure apparaît des plus restrictives au regard de l’ampleur de la crise du secteur touristique.

Ces dispositions concernent : les contrats de voyage et de séjours, les contrats portant sur des opérations visées par le code du tourisme (hébergement, location de voiture, services touristiques, vente de titres de transports, prestations de tourismes délivrées par des associations…)

L’ordonnance prévoit la mise en place d’un principe de compensation : les entreprises et organismes visés pourront, par dérogation aux règles contractuelles et légales proposer à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués un avoir en lieu et place du remboursement prévu à l’article L. 211-14 du Code du tourisme. La période de validité de l’avoir pourra être au maximum de 18 mois.

Les conditions d’utilisation de l’avoir proposé devront garantir l’accès à des prestations similaires, sans majoration tarifaire. L’offre d’avoir doit être formulée dans les 30 jours de la résolution du contrat. A défaut, il y aurait lieu de faire application des conditions contractuelles ou légales.

Il convient par ailleurs de préciser que le texte ne prévoit la conversion en avoir que des paiements effectués (ce qui ne vise que les acomptes, arrhes ou sommes versées avant réalisation de la prestation). Les sommes non encore versées ne donnent pas lieu à avoir bien évidemment mais rien n’est dit sur la possibilité de diminuer le prix des prestations futures lors de l’utilisation de l’avoir.

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A défaut de proposer un tel avoir ou d’être en capacité d’en proposer (car cela ne vise au final que les gros du secteur touristique), il y aura lieu de faire application des clauses contractuelles. A ce sujet, le gouvernement ne prévoit rien et renvoi aux seules dispositions dérogatoires évoquées ci-avant. A ce sujet le titre même de l’ordonnance laisse rêveur. Quel texte applicable ? : Ordonnance n° 2020-315 relative aux conditions financières de résolution de certains contrats de voyages touristiques.

A propos de L'auteur

Pierre LAMANT

Directeur Juridique chez In Extenso

Directeur juridique au sein d’In Extenso Sud-Ouest depuis 7 ans et fort d’une expérience en droit des affaires depuis 20 ans, Pierre intervient en tant que conseil juridique en droit des affaires incluant l’organisation juridique, le droit des sociétés, les contrats commerciaux et l’ensemble des problématiques liées aux acquisitions et fusions.

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