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Professions libérales exercées en société : aspects juridiques, fiscaux et sociaux en 2023 – Urgent d’attendre ?
Date de publication : 25.07.23
Les aspects juridiques, fiscaux et sociaux relatifs aux professions libérales qui exercent sous forme de société appellent actuellement de nombreuses questions. Tour d’horizon des interrogations, des débuts de réponses et de l’actualité de ces sujets pour lesquels il peut être urgent d’attendre.
Changement de traitement fiscal des rémunérations techniques des associés exerçant dans une société d’exercice libéral
Un revirement de position…
En 2012, l’administration fiscale a intégré dans sa doctrine une réponse ministérielle de 1996, indiquant que la rémunération des professionnels libéraux associés de société d’exercice libéral (SEL) non-gérants était par principe soumise à l’impôt dans la catégorie des traitements et salaires, tandis que la rémunération des professionnels gérants majoritaires de SELARL (SEL sous forme de SARL) dépendait de la catégorie des rémunérations allouées aux gérants et associés de certaines sociétés (imposées selon les dispositions de l’article 62 du CGI).
Cette solution a été abandonnée par la DGFiP à l’occasion de l’actualisation, fin 2022 et début 2023, de sa position relative au traitement fiscal des rémunérations techniques des associés exerçant dans une société d’exercice libéral.
Prenant (enfin) acte de deux décisions assez anciennes du Conseil d’État, (CE, 16 octobre 2013, n°339822 et CE, 8 décembre 2017, n°409429), l’administration fiscale a rapporté sa doctrine le 15 décembre 2022 et considère désormais que par principe, ces rémunérations sont soumises à l’impôt dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).
Par exception au principe de l’imposition dans la catégorie des BNC, les rémunérations de ces professionnels peuvent relever d’autres catégories :
- Pour les associés de SEL non-gérants, si leur activité est exercée dans des conditions qui traduisent l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société, les rémunérations seront imposées dans la catégorie des traitements et salaires.
- Pour les gérants majoritaires de SELARL et les associés gérants de SELCA, si leurs rémunérations (perçues en contrepartie de leur mandat de gérant d’une part et de leur activité professionnelle d’autre part) ne peuvent pas être distinguées, elles sont imposées dans la catégorie des rémunérations allouées aux gérants majoritaires et associés de certaines sociétés (imposées selon les dispositions de l’article 62 du CGI).
A titre de mesure transitoire, les associés pouvaient se prévaloir s’ils le souhaitaient de la doctrine ainsi abandonnée, mais uniquement pour les revenus de l’année 2022, qui ont fait l’objet d’une déclaration en 2023.
…et de nombreuses interrogations.
Face aux difficultés remontées à l’administration, quant à la mise en œuvre dans un si court délai du changement de régime fiscal, le BOFiP a été à modifié une seconde fois, le 5 janvier 2023.
Il est toujours prévu une application par principe des nouvelles règles dès le 1er janvier 2023, en revanche, si les contribuables concernés ne sont pas en mesure de se conformer dès cette date aux obligations propres au régime d’imposition en BNC, ils peuvent se prévaloir encore un an de l’ancien régime (jusqu’au 31 décembre 2023).
Malgré ce correctif de début d’année, les praticiens se sont vite retrouvés submergés de questions en tous genres en essayant de tirer les conséquences pratiques de ce changement de paradigme fiscal :
- Comment distinguer la rémunération relative au mandat social de la rémunération technique ?
- Doit-on les distinguer ?
- Comment caractériser l’indissociabilité des rémunérations techniques et de direction ?
- L’associé « BNC » devra-t-il disposer d’un numéro de Siret ?
- L’associé pourra-t-il bénéficier du régime micro-BNC ?
- L’associé devra-t-il souscrire une déclaration 2035 ou pourra-t-il se contenter de reporter directement le revenu « BNC » sur la déclaration 2042 ?
- La rémunération technique doit-elle faire l’objet d’une facture ? Avec ou sans TVA ?
- Les rémunérations des associés de sociétés commerciales de droit commun (SA, SAS et SARL) à activité libérale sont-elles également visées ?
Des propositions de réponses ont été formulées et des échanges ont actuellement lieu avec le ministère de l’Économie et des Finances pour obtenir des éclaircissements ; le sujet devrait être plus limpide en fin d’année.
A lire : La procédure de reconstitution des capitaux propres évolue
Traitement social et fiscal des dividendes versés aux travailleurs indépendants
Dividendes reçus par les travailleurs indépendants et leur famille rattachée
Outre la rémunération que les associés de sociétés ayant une activité libérale perçoivent pour leurs fonctions techniques ou pour leur mandat social, ils peuvent recevoir des dividendes ou des intérêts de compte-courant.
L’article L131-6 du CSS, que l’on connaît bien s’agissant des dividendes (art. 108 à 115 du CGI) et intérêts de compte-courant (art. 124, 4° du CGI) versés aux associés gérants majoritaires de SARL et d’EURL (et à leur famille rattachée), s’applique en fait à tous les travailleurs indépendants (non agricoles), c’est à dire à tous les associés dès lors qu’ils exercent une activité libérale sans lien de subordination et qu’ils reçoivent un dividende (ou des intérêts de compte-courant) de la société à l’IS par laquelle cette activité est exercée.
En effet, tant le gérant majoritaire que l’associé exerçant une activité libérale sans lien de subordination via une société à l’IS est considéré socialement comme un travailleur non salarié (TNS) – le Code de la Sécurité sociale utilise aujourd’hui le terme de « travailleur indépendant non agricole » – et dépend de la sécurité sociale des indépendants (SSI).
Cela signifie que quelle que soit la forme sociale (SELARL, SELAS, SARL, SAS, …), si une société à l’IS dont l’activité est l’exercice d’une profession libérale par ses membres, les dividendes (et intérêts de compte-courant) que ces derniers reçoivent (sauf si on établit un lien de subordination avec la société) sont soumis :
- au titre de l’impôt, à 12,8% (sauf option au barème) ;
- au titre des prélèvements sociaux,
- à 17,2% au titre des prélèvements sociaux, sur la quote-part du capital jusqu’à 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit,
- aux cotisations sociales des indépendants, sur la quote-part du capital supérieure à 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant détenus en toute propriété ou en usufruit.
Du 1er janvier 2009 (date de création du mécanisme pour les SEL uniquement) au 31 décembre 2012 (veille de l’extension du mécanisme à tous les travailleurs non salariés non agricoles, quelle que soit la forme sociale), cette règle ne s’appliquait qu’aux sociétés d’exercice libéral car le texte les visait expressément.
Depuis le 1er janvier 2013, cette règle s’applique à toutes les sociétés à l’IS, dès lors que les associés exercent leur activité indépendante au sein de ces sociétés (au 1er janvier 2017 la notion de « travailleur non salarié non agricole » a été remplacée par celle de « travailleur indépendant non agricole »).
Dividendes reçus par l’intermédiaire d’une SPFPL
Les développements ci-dessus traitent du versement du dividende (et des intérêts de compte-courant) à une personne physique exerçant son activité libérale (ou indépendante) au sein de la société, mais la question s’est également posée lorsque le dividende est versé par une SEL à une société de participations financières de professions libérales (SPFPL).
Dans pareil cas il semble que la personnalité juridique distincte, du professionnel libéral d’une part et de sa société holding d’autre part, devrait empêcher de considérer que les dividendes remontant à la SPFPL doivent être pris en compte pour déterminer le revenu d’activité de la personne physique, et donc être assujettis aux cotisations sociales des indépendants, à tout le moins tant qu’il n’appréhende pas à son tour les sommes lors d’une distribution de dividendes par la SPFPL.
Mais un arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence en date du 11 juin 2021 (n°20/09464) a décidé que la totalité du dividende versé par une SEL de chirurgien-dentiste à ses associés (1% à l’unique associé professionnel et 99% à sa SPFPL, sous forme de SAS d’après l’arrêt mais sous forme de SARL après vérification au RCS) devait être soumise aux cotisations sociales des indépendants, pour la partie excédant 10% du capital social et des primes d’émission et des sommes versées en compte courant.
La décision est encore plus surprenante puisque la Cour indique que ces 10% du capital social s’apprécient par rapport au capital social de la SPFPL (et non par rapport au capital social de la SEL, société distributrice). Il est possible que ce point particulier soit une erreur.
« M. Y directement détenteur de 10 parts dans la SELARL et indirectement détenteur des 990 autres parts, par l’intermédiaire de la société en participations financières, doit donc intégrer dans l’assiette de ses cotisations sociales tous les bénéfices distribués par la SELARL dans la limite des textes susvisés de la fraction supérieure au 10% du capital social de la société en participations financières.
Il importe peu, au regard de la réglementation précitée, que la société en participations financières ait une personnalité juridique morale distincte de la personnalité juridique de M. Y et qu’elle soit soumise à l’impôt sur les sociétés et non à l’impôt sur le revenu. »
La solution interroge car on identifie mal, si elle était confirmée et que les cotisations sociales devaient effectivement être payées du fait du paiement des dividendes par la SEL à la SPFPL, par quel moyen il serait possible de ne pas retenir l’assujettissement aux cotisations sociales des indépendants d’une quote-part des dividendes à l’occasion d’une distribution ultérieure par la SPFPL à la personne physique (au moins lorsque la SPFPL est constituée sous forme de SARL et que l’associé est TNS, car gérant majoritaire).
Pour autant un double prélèvement de cotisations sociales ne semble pas non plus une solution satisfaisante.
La réforme de l’exercice en société des professions libérales réglementées
Historiquement seules les sociétés civiles pouvaient accueillir les activités libérales, puis les sociétés d’exercice libéral (SEL), empruntant aux formes commerciales, ont été créées en 1990.
La Loi MURCEF de 2001 a profondément modifié les règles applicables aux SEL et a créé les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL), en renvoyant à un décret en Conseil d’État pour les conditions d’application particulières à chaque profession.
Puis en 2015, la loi Macron (art. 63) est venue autoriser les professions juridiques et judiciaires à constituer des sociétés commerciales de droit commun (à condition qu’elles ne donnent pas la qualité de commerçant à ses associés) : SA, SAS et SARL. Dans ces conditions, l’intérêt de recours à la SEL a diminué.
Dernière étape à ce jour, la réforme relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, portée par l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 (actuellement en cours de ratification par le Parlement : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/dossiers/DLR5L16N48350), qui sera applicable à compter du 1er septembre 2024.
L’objectif : « clarifier l’actuelle rédaction des dispositions législatives communément applicables aux professions libérales réglementées« …
A propos de L'auteur
Till Jouaux
Référent juridique national
Till est Responsable Juridique National au sein du groupe In Extenso. Il a pour mission d’animer le métier juridique auquel participent près de 400 collaborateurs dans toute la France. Depuis 2022 il co-anime le groupe de travail fiscalité internationale d’ETL Global, un réseau de professionnels spécialisés dans la comptabilité, le droit et la fiscalité présent dans plus de 50 pays.
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